« Ce qu’on me proposait au cinéma manquait un peu d’audace »

15/05/2024

Le plus corrosif des humoristes français décroche son premier vrai grand rôle au cinéma dans ce thriller féministe, en salles ce mercredi, et qui aborde un sujet original, celui du monde secret des marabouts. Loin de ses réparties comiques habituelles, il interprète ici un personnage sombre, voire méchant. Et ça lui a plu !


Dans sa cité du nord-est de Paris, Nour est connue de tout le monde. Vivant seule avec son ado, Amine, séparée de Dylan, moniteur d’auto-école, elle fait du trafic d’animaux rares, mais surtout soigne les petits et gros bobos, soi-disant grâce à ses pouvoirs de marabout. Farouchement indépendante bien qu’elle ait gardé contact avec son ex, elle lance même une appli qui cartonne, ce qui provoque critiques et jalousies. Mais le jour où une de ses consultations dérape, elle est accusée de sorcellerie et devient la femme à abattre…

Pour son premier long-métrage, Saïd Belktibia, membre du collectif Kourtrajmé (Romain Gavras, Ladj Ly, entre autres) choisit une thématique peu explorée dans le cinéma français moderne : le maraboutage. Une pratique qu’il documente sans juger, et sans indiquer si son personnage principal — Golshifteh Farahani, très impliquée  — y croit vraiment ou si c’est juste une arnaqueuse beaucoup plus intelligente que la moyenne. Le film baigne de fait souvent dans une atmosphère à la lisière du fantastique, et a d’ailleurs été projeté dans deux festivals spécialisés, celui de Gérardmer en France en janvier dernier, et Sitges (Espagne).

En plus d’un suspense intenable à la fin et de scènes d’action qui tiennent la route, « Roqya » (nom qu’on peut donner à une partie de la médecine islamique) bénéficie d’un atout pour le moins inattendu : l'humoriste Jérémy Ferrari, ici dans son premier vrai rôle développé au cinéma, et pas vraiment là pour interpréter un personnage comique, ni pour refaire « Hallelujah bordel ! » ou « Vends 2 pièces à Beyrouth ». Et c’est ce qu’il cherchait, comme il nous l’a expliqué. 

Pour ce premier vrai rôle au cinéma, vous débarquez là où on ne vous attendait pas vraiment…

Pour être tout à fait honnête, ça a été fait exprès ! Le cinéma ne m’a pas boudé. On m’a proposé pas mal de choses ces dernières années, que j’ai refusées car je trouvais que ça manquait un peu d’audace. Et comme j’ai mis du temps à m’imposer dans l’humour iconoclaste, je ne voulais pas arriver dans un truc trop évident. Les réalisateurs mettent du temps à vous faire confiance, et je me suis dit que si je m’embarquais tout de suite dans des comédies où ce n’est pas vraiment mon humour, ou des rôles un peu trop lisses, on ne me proposerait plus rien derrière. J’ai en moi un côté un peu sombre que j’avais envie d’exploiter autrement qu’en riant sur scène. Quand Saïd Belktibia est arrivé avec ce rôle, là je me suis dit : C’est génial pour démarrer. Mais j’ai eu aussi très peur quand il m’a précisé que c’était avec Golshifteh Farahani. Ah oui, quand même ! (Il rigole.)

Qu’est-ce qui vous a convaincu d’accepter ?

L’originalité du scénario. Le maraboutisme est un sujet très présent dans la vie de nombreuses personnes, mais dont on parle très peu, sauf peut-être à l’occasion de l'affaire Pogba (le footballeur a été victime d’une extorsion de fonds dont l’un des protagonistes aurait été un marabout). On connaît le sujet avec le prisme africain, mais on ne sait pas vraiment comment il se traduit en France. J’étais parti avec Saïd au Sénégal pour faire de la lutte sénégalaise — je suis un passionné d’arts martiaux —, on en avait profité pour aller voir des marabouts. Saïd s’intéresse depuis plusieurs années à ce phénomène. Même si le film s’appelle « Roqya » — la roqya, on n’en parle un peu qu’à la fin —, c’est l’univers du maraboutisme qui est abordé, ce que je trouve très original. Et puis il y a l’histoire de cette femme, dérangeante pour plein de gens, et tout le monde attend son faux pas. Et au moment où elle le commet, tout le monde se jette sur elle. C’est une chasse aux sorcières moderne, on n’a jamais vu ça !

Et votre personnage est plus complexe que ce qu’on pourrait penser au début…

Il vit une histoire de couple, mais ce n’est pas basique. Ce n’est pas juste un couple qui se dispute. On imagine qu’il continue de financer son ex-femme. Il essaie d’être un bon père, mais il n’y arrive pas. Il la hait, mais en même temps, il l’aime encore.

Votre personnage évolue quand même dans le mauvais sens, non ?

À la fin, il est perdu, il devient faible… Quand on m’a donné le rôle, au début, je détestais mon personnage, c’est un connard, un mauvais père, je me disais qu’il devait battre sa femme. Mais j’avais pris un coach pour travailler mon rôle, et il m’a dit que je ne pouvais pas bien interpréter mon personnage si je n’apprenais pas à l’aimer. Il a fallu que je lui trouve des circonstances atténuantes, que je comprenne pourquoi il était devenu comme ça.

Maintenant que vous avez prouvé que vous pouvez interpréter un rôle dramatique, un retour à la comédie pour votre prochain film ?

Mon objectif est évidemment de montrer que je peux faire les deux. Je vais réaliser mon premier film, on part en tournage en octobre prochain. Ce sera une comédie d’aventures, dans laquelle je jouerai. Et j’ai accepté un autre rôle, un vrai gros premier rôle assez sombre, dont je ne peux pas parler. Mais ce n’est pas une question de taille. Un jour, Bernie Bonvoisin m’a envoyé un scénario et m’a proposé de choisir entre trois personnages. J’avais choisi celui du transsexuel qui élevait des caniches, et c’était le plus petit des trois. Mais le challenge était plus important. Plus le rôle va être audacieux, plus je vais avoir envie de le faire.

Par Michel valentin pour Le Parisien.