Jérémy Ferrari allume la mèche 

17/03/2014

Jérémy Ferrari nous revient pour la dernière représentation de son spectacle Hallelujah Bordel. Le spécialiste de l’humour noir qui s’est fait connaître dans l’émission "On n’demande qu’à en rire" flingue tout ce qui bouge et aborde des sujets brûlants. Nous sommes revenus avec lui sur des sujets chauds avant qu’il n’enflamme la scène de Louvain-la-Neuve. Entretien hot avec un humoriste talentueux.


Bonjour Jérémy, vous avez été révélé par Laurent Ruquier dans l’émission ONDAR et vous le retrouvez dans L’émission pour tous. C’est un peu lui qui a lancé votre carrière non ?

Oui, totalement. Laurent a été sensationnel avec moi. Il s’est battu pour que je puisse toujours dire ce que j’avais à dire. Il m’a défendu, il m’a aidé, il m’a conseillé et il m’a fait grandir. Il a été très paternel avec moi et très fidèle aussi. Je lui en serai éternellement reconnaissant et c’est pour ça que quand il m’a rappelé je suis revenu vers lui, parce que je ne peux rien lui refuser.

Vous avez fait le choix de faire de l’humour noir. Ce n’est pas le choix de la facilité, comme elle vous est venue cette envie ?

Ça ne m’est pas venu, ça a été tout naturel chez moi. Ce n’est pas quelque chose que j’ai choisi, j’ai toujours écrit ça. Moi, les mecs qui me faisaient marrer tout petit c’était Desproges et Coluche et ça a toujours été ma manière de voir le monde. Et puis je ne veux pas monter sur scène en ne racontant rien, les gens qui viennent voir le spectacle ont une vraie proposition artistique. Après, ils aiment ou ils n’aiment pas mais je ne me moque pas d’eux.

Est-ce que vous voyez encore certains tabous qui persistent autour de certains thèmes ?
Pas pour moi. Je n’ai pas l’impression de me mettre la moindre barrière ou le moindre tabou. Parfois, il faut composer selon un contexte, selon une émission. Parce que le but de l’humour noir, ça n’est pas de blesser les gens, c’est de les faire rire. Après, si 80% des gens ont ri et 20% sont choqués ce n’est pas grave. Mais si 80% sont choqués c’est que vous avez mal fait votre boulot. Maintenant, je ne me censure pas et surtout il n’y a aucun sujet que je n’ai pas abordé. Ni le coran, ni les handicapés, ni la maladie ni les enfants malades.
Vous venez en Belgique pour le lancement de votre festival Smile and Song, vous pouvez un peu nous en parler ?
Je suis très fier de ce projet. Il va y avoir un gala d’ouverture le 27 mars qui va être incroyable où j’ai réussi à réunir 18 artistes sur scène. Des gens comme Jean-Marie Bigard, Christophe Alévêque, Éric Métayer, Éric Antoine, Anne Roumanoff, Raphaël Mezrahi, Arnaud Tsamere, moi-même et beaucoup d’autres. Et ces humoristes formeront aussi des duos inédits dans lesquels on mélangera les générations. J’ai commencé à voir les répétitions et c’est formidable. Ce sera présenté par Arnaud et moi-même et ça va être assez grandiose. Le 28, il y aura la dernière représentation en Belgique de Hallelujah Bordel, le 29, Youssoupha viendra chanter à Louvain-La-Neuve avec des rappeurs de son label et on termine le festival le 30 avec le nouveau spectacle d’Olivier de Benoist.
Pourquoi le faire chez nous et pas
en France ?
La Belgique parce que j’ai un lien particulier avec ce pays que j’aime beaucoup vu que ma grand-mère était Belge. Un des seuls regrets que j’ai d’ailleurs est que celle-ci n’ait pas pu voir l’accueil qui m’est réservé en Belgique, je crois qu’elle aurait été très émue.
Et vous voyez une différence entre le public belge et le public français dans la façon dont vos spectacles sont reçus ?
Le public Belge est un public qui est fan d’humour noir, ils sont très ouverts à beaucoup de choses. Maintenant, le public qui vient me voir en France est aussi, par définition, un public qui aime l’humour noir. Mais j’ai été vraiment surpris par l’accueil que le public belge m’a fait et cela m’a beaucoup touché.
C’est la dernière représentation de votre one man show Hallelujah Bordel. Sur quoi le spectacle est-il centré ?
En fait, c’est un spectacle qui se moque des extrémismes religieux. Je le répète souvent mais il n’est pas nécessaire de s’y connaître en religion ni de s’y intéresser pour se marrer en le voyant. Il n’y a pas besoin d’être expert pour rire quand on apprend qu’un mec avec les testicules écrasées n’a pas le droit d’aller à la messe. Et ça, c’est inscrit noir sur blanc dans la bible. C’est donc très accessible et c’est surtout un prétexte pour moi pour parler de la misogynie, de l’homophobie et du racisme. Après, c’est un spectacle qui va un peu plus en profondeur parce que souvent dans le domaine de la religion, les humoristes restent en surface. C’est aussi très dénonciateur, parfois absurde, parfois léger mais surtout provocateur et noir donc il faut venir avec pas mal de second degré.
Justement, on a l’impression que c’est quelque chose qu’un humoriste comme Dieudonné a oublié. Que pensez-vous justement de tout ce remue-ménage autour de ce dernier ?
Le traitement de l’État français sur Dieudonné et Dieudonné lui-même sont deux débats qui sont totalement différents. Je pense qu’interdire les spectacles de Dieudonné a été une erreur. Le gouvernement actuel est conspué par les français parce qu’il est très mauvais. Donc, quand un État se met contre un humoriste, il lui fait de la publicité. C’est exactement ce qui s’était passé quand Nicolas Sarkozy était décrié et qu’il a dit que Stéphane Guillon était l’humoriste le moins drôle de France. Résultat : d’un coup, il est devenu l’humoriste préféré des français. Donc, quand un gouvernement qui ne sait pas gérer l’économie et le chômage d’un pays comme la France dit que Dieudonné est l’ennemi du gouvernement, il rend populaire un humoriste qui ne l’aurait pas forcément été autrement. Ensuite, un gouvernement n’a en aucun cas le droit d’interdire un spectacle. Si la seule chose qu’ils ont trouvé pour combattre Dieudonné c’est d’interdire ses spectacles, c’est une énorme preuve de faiblesse. C’est aussi une insulte au public français que de penser qu’il est suffisamment stupide pour ne pas avoir un jugement personnel. Dans ce cas-là, il faut tout interdire. Si on commence à interdire un humoriste, interdisons aussi certains meetings. Quand on va dans plusieurs régions de France et qu’on voit les meetings du Front National, on peut les interdire aussi alors. Il ne faut pas aller dans cette voie-là. Un État ne doit pas se mêler de ce que raconte un humoriste sur scène. Même si on peut se demander si Dieudonné est encore un humoriste.
Et il y a aussi le débat sur Dieudonné lui-même.
Dieudonné a été très drôle. Il a même été un des humoristes les plus talentueux de sa génération. Mais depuis quelques années, il a commencé à dévier en s’acoquinant avec des gens comme Alain Soral. Ensuite, il a fait ce sketch chez Fogiel qui n’est pas drôle et qui ressemble plus à une opinion personnelle et le vrai Dieudonné s’est révélé. Au lieu de laisser passer l’orage et de prendre tout cela avec humour et recul, il commence à rentrer dans une lutte politique soi-disant contre le sionisme. Sauf que là, c’est lui qui détermine qui est sioniste et qui ne l’est pas. Et, au fur et à mesure, on se rend compte que tous ceux qui ne sont pas d’accords avec lui seraient sionistes. Ses spectacles se sont transformés en meetings politiques, il commence à s’entourer de gens qui sont les pires pourritures et il enfonce le clou. Un autre exemple, le débat de la quenelle qu’on a désignée comme étant antisémite. Je trouve que c’est un faux débat parce que ce geste, il le faisait déjà depuis 10 ou 15 ans et ça n’avait jamais été un geste antisémite. Sauf que, quand il y a des personnes qui vont devant l’école où Merah a tué des gamins juifs et qu’ils se prennent en photo en faisant des quenelles, que son copain Soral va devant des cimetières juifs faire la quenelle et que Dieudonné lui-même ne dit rien, d’une certaine façon il acquiesce. Et on ne peut pas acquiescer ça. Quand Dieudonné se sert d’un enfant cancéreux, malheureusement décédé depuis, qui fait une quenelle pour faire sa promotion et faire sa pub, c’est à vomir. Et puis, c’est devenu une machine à fric. La preuve quand il dit sur Internet « je préfère mourir libre que vivre esclave ». Le lendemain, il apprend qu’on va lui fermer ses comptes et alors il abdique. Il signe le procès-verbal, il accepte de sortir les propos antisémites de son spectacle et il demande à ce qu’on tourne la page. Il s’est caché devant la liberté d’expression pour avoir des propos absolument terribles et il a sali cette liberté. En tout cas, il a perdu mon admiration et son statut d’humoriste.
Pour en revenir à vous, votre premier spectacle intitulé « Moi, méchant ? » c’était il y a presque 12 ans. Est-ce que en 12 ans de carrière vous avez vu une différence dans la manière dont les gens perçoivent votre humour ?
Oui forcément, un One Man Show n’est pas une pièce de théâtre. Les gens qui viennent voir une pièce de théâtre viennent voir une histoire, quand ils vont voir un humoriste ils viennent voir quelqu’un. Quand tu démarres en tant qu’humoriste, les gens ne savent pas qui tu es et en plus, quand tu fais des sketchs d’humour noir, ça peut être mal perçu. Après, tu évolues, tu changes et tu deviens meilleur aussi. J’ai quand même commencé à l’âge de 17 ans, je n’étais pas au niveau où je suis maintenant dans l’écriture, dans la finesse et dans l’interprétation. Par la suite, quand les gens te connaissent ça devient très jouissif sur scène. Par exemple, un de mes sujets préférés c’est le racisme, j’adore jouer les racistes. Quand je lis sur scène un article de presse d’une agression et que c’est une personne d’origine étrangère qui a commis celle-ci, il suffit que je lève la tête et alors les gens se marrent (il rit). C’est ça qui est assez jouissif quand tu commences à établir un lien assez fort avec ton public. Et je suis un humoriste très proche de son public.
Au début de votre carrière vous avez pas mal bourlingué mais maintenant vous arrivez à vivre de votre passion. C’est quoi la formule pour arriver à vivre de l’humour ?
Il n’y a pas de formules, il y a juste plein de parcours différents. Il y a énormément d’humoristes qui ne sont pas connus et qui gagnent très bien leur vie en faisant des café-théâtre. Je crois qu’il faut juste essayer d’être ce qu’on est et c’est le public qui choisit. Nous, on fait une proposition artistique à ce public mais c’est lui qui décide.
On vous sentait très complice avec Arnaud Tsamère sur le plateau de On n’demande qu’à en rire, il est votre meilleur ami dans le monde du spectacle ?
C’est l’un de mes meilleurs amis, Arnaud, on est devenu très proche. On est très différents dans nos personnalités mais on se complète bien. J’ai un côté fou qui l’amuse beaucoup et en même temps, je suis très angoissé dans la vie. Ça fait partie de ma personnalité. Lui est beaucoup plus enfantin dans la vie mais, par contre, est très mûr et très sage dans sa carrière en générale. Il m’apporte beaucoup de sagesse et moi, je lui apporte pas mal de folie.
Vous avez aussi co-écrit le spectacle d’un humoriste qui monte : Guillaume Bats. Est-ce que vous pouvez nous parler de lui ?
Guillaume est venu me voir pour écrire avec lui il y a quelques années. À ce moment, je lui ai dit que ça ne m’intéressait pas d’écrire avec lui que pour la télévision et que si j’écrivais, c’était l’ensemble de ce qu’il faisait sinon cela n’avait pas grand intérêt. Au début, il a refusé et puis j’ai eu l’idée de ce sketch de L’adoption pour les nuls que l’on a fait dans On n’demande qu’à en rire et je l’ai rappelé. Il a accepté, le sketch a fait un buzz énorme et puis, il a finalement accepté que j’écrive le spectacle. Et maintenant, il est devenu mon petit protégé. C’est un vrai showman, il a beaucoup de talent et une grande force de caractère. Et puis, c’est quelqu’un que je trouve formidable parce qu’il ne s’est jamais considéré comme un handicapé et ça tombe bien parce que je ne le vois pas non plus de cette façon. Personnellement, comme c’est aussi le cas pour Constance, je préfère les gens compliqués mais brillants que les gens très sympathiques mais chiants.
Après la fin de votre spectacle, l’actualité de Jérémy Ferrari ce sera quoi ?
Je vais me consacrer à l’écriture de mon nouveau one man show : Vends 2 pièces à Beyrouth qui démarrera en juillet 2015 et qui va parler de la guerre. Je vais aussi me consacrer à l’écriture de mon film que l’on va tourner normalement en mars et ce sera déjà pas mal. Je crois que je vais faire une vraie pause en télévision, à moins que l’on me propose quelque chose de très intéressant et de différent.

Écrit par Olivier EGGERMONT