Interview de Jérémy Ferrari

28/04/2017

Après avoir vu son premier spectacle Hallelujah bordel !, on aurait difficilement pu imaginer qu’il puisse aller encore plus loin qu’il ne l’avait déjà fait en « osant » aborder le sujet – presque devenu tabou – de la religion… Pourtant, dès l’annonce de la thématique choisie par l’humoriste – la guerre -, le public a compris que du haut de sa petite trentaine, Jérémy Ferrari ne reculerait devant rien. Car, si bien évidemment dans la forme sa mission première est de provoquer le rire dans les salles, il n’est pas plus qu’à ses débuts décidé à faire des concessions sur le fond. En choisissant de parler de la guerre, l’artiste s’est auto-condamné à s’engouffrer dans un travail d’investigation que même très peu de journalistes actuellement entreprennent. À force de rencontres, de lectures, d’enquêtes et de recoupements, il a fini par donner naissance à un one man aussi instruit qu’accessible qui – tout en traitant de l’épineuse question géopolitique – est parvenu à conserver un ton tant corrosif qu’hilarant. Dans une mise en scène encore plus efficace et rythmée qu’auparavant, l’humoriste a su ne pas laisser le poids du message qu’il délivre prendre le pas sur un jeu d’acteur qui, avec l’expérience, s’est lui aussi affiné et bonifié…


Vends 2 pièces à Beyrouth se porte plutôt bien…

Jérémy Ferrari : C’est toujours incroyable quand un spectacle fonctionne aussi bien… Mon objectif, en le créant, c’était d’avoir au moins autant de monde dans les salles que sur Hallelujah bordel ! car ça aurait signifié que les gens qui l’avaient vu l’auraient suffisamment aimé pour s’intéresser au second spectacle. Et sincèrement, rien que ça, ça aurait déjà été une grande victoire ! Avec Vends 2 pièces à Beyrouth, j’ai vraiment décidé de prendre un risque supplémentaire car en revoyant le premier – même s’il allait déjà beaucoup plus loin que tout ce qui avait pu être fait sur la religion -, je me suis aperçu que je n’avais pas osé certaines choses… Après avoir « imposé » ce style d’humour, il était essentiel que je continue à le creuser en ne m’interdisant rien.

Tu avais la sensation de t’autocensurer ?

Je me rappelle m’être réveillé un matin en relisant mes notes de la veille et en réalisant que j’avais barré plein de choses non pas parce que je ne les trouvais pas bonnes, mais juste parce qu’inconsciemment, j’avais peur de les dire, peur des conséquences et peur de perdre quelque chose…. Avant je n’avais rien à perdre et c’est ça le piège ! Ce jour là, j’étais en vacances dans une jolie maison en Espagne et je me suis vu m’autocensurer et devenir ce que je ne voulais absolument jamais être, un type vivant confortablement et faisant son possible pour que ça dure comme ça… Je m’en suis tellement voulu, j’avais tellement honte et j’étais si en colère contre moi, que je me suis dit que j’allais faire un spectacle entièrement sans filtre pour me « punir » ! (rires)

Preuve que la liberté d’expression est toujours vivante malgré ce que l’on veut nous faire croire…

Pour moi, la question de la liberté d’expression, c’est une immense blague ! On entend constamment qu’aujourd’hui, contrairement à il y a 30 ans, on ne peut plus dire ça ou ça en télévision mais c’est absolument faux ! Sur France 2 j’ai pu aborder, dans mes sketchs, des thèmes hyper délicats comme l’infanticide, le suicide, le Coran, le handicap, le génocide ou le conflit israélo-palestinien et on ne m’a jamais empêché de le faire. Ce qui est vrai par contre, c’est que les émissions sont un peu frileuses et cherchent le consensuel et l’absence de risques mais c’était peut-être déjà le cas il y a 30 ans, je n’en sais rien, je n’y étais pas… En revanche, ce que je sais parce que je le vois, c’est que très peu d’artistes qui se disent « engagés » sont désormais prêts à refuser un boulot en radio ou en télé si on les empêche de dire ce qu’ils veulent… Une grosse radio m’a proposé une matinale, financièrement et médiatiquement très intéressante, mais quand j’ai compris que mes textes allaient être relus et validés, j’ai rebroussé chemin ! Je ne dis pas que c’est facile mais on a toujours le choix de dire non pour ne pas prendre part à ce système…

Et il ne faut pas oublier que la véritable place de l’humoriste c’est avant tout sur scène…

Exactement ! On fait ce métier avant tout pour être sur scène et partager quelque chose directement avec les gens alors quand un programmateur télé ou radio veut brimer ta liberté d’expression, il faut penser au public que ce type essaye de laisser dans l’ignorance… Ce qui me met en colère, c’est d’imaginer qu’une poignée de personnes estime mieux savoir que les gens eux-mêmes ce dont ils ont envie et ce qui est bien ou mal pour eux ! Donc face à ce genre de comportements, il reste la scène où tout est permis et possible à condition de ne pas s’autocensurer ou faire de la fausse provocation !

Et comme dans le 1er spectacle les faits sont vérifiés…

Taper sur tout et n’importe quoi c’est facile mais ça n’a aucun intérêt, pour moi, si ce n’est pas factuel. Dès que ça touche la géopolitique, c’est très compliqué car ça concerne énormément de monde et de domaines différents et surtout, on trouve des tonnes de sources contradictoires alors j’ai pris le parti, pour être le plus juste possible dans mes propos, de me positionner du côté de la paix et des gens qui ne veulent pas la guerre, soit la majeure partie de l’espèce humaine ! (rires) Ainsi, si je fais des erreurs sur scène, elles ne servent pas les intérêts de ceux qui vivent sur le dos de la guerre et qui la créent…


© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson pour Le Mensuel