Interview pour son dernier spectacle « Anesthésie générale »

01/04/2022

Bien que 5 vagues de reports soient passées par là, le public n’aurait cédé sa place pour un empire et, après avoir vu le spectacle, force est d’admettre qu’il n’a pas eu tort ! Dans la même lignée que ses 2 premiers spectacles sur la religion et la guerre, Jérémy Ferrari a eu la riche idée (bien avant que le Covid nous tombe dessus !) de pointer son viseur sur notre système de santé ! Aussi documenté, intelligent, drôle et rythmé que les précédents, Anesthésie générale s’impose malgré tout comme sa meilleure création. Sincère, intime, sans concession et sans aucune limite, Jérémy Ferrari s’est désormais « trouvé » et ose se dévoiler, pour la 1ère fois, sur scène…


MÊME PARFOIS APRÈS 5 REPORTS, LES GENS SONT LÀ…

Jérémy Ferrari : C’est complètement dingue… Dès l’ouverture de la billetterie d’Anesthésie générale, sans promo, on avait vendu 100 000 billets ! C’était tellement incroyable que je me suis dit que ça allait être la tournée de ma vie ! Déjà la précédente avait été ouf mais de tels chiffres sur un spectacle aussi personnel étaient vraiment la promesse de moments exceptionnels… Et tout à coup, tout s’est arrêté, le rêve s’est effondré et l’angoisse a pris le dessus. Avec mes équipes, on a commencé à déconstruire la tournée, à reporter, à guetter les demandes de remboursement et à être incroyablement surpris en découvrant que sur 100 000 ventes, seulement quelques dizaines de personnes avaient rendu leurs places… Aujourd’hui, quasiment toutes les salles sont complètes et je n’en reviens toujours pas d’avoir l’immense privilège d’être aussi soutenu par un public si fidèle ! 

ARTISTE TOUJOURS MAIS DE PLUS EN PLUS INVESTI DANS LA PRODUCTION…

Le Cas Pucine et Arnaud Tsamère ont rejoint la famille Darksmile récemment mais je ne peux faire ça que grâce à l’équipe de passionnés qui est à mes côtés. Ils ne comptent pas leurs heures, ils bossent le week-end sans que je leur demande quoi que ce soit, ils sont hyper investis et ont toujours le sourire. En toute franchise, je ne pourrais pas tout mener de front comme ça sans eux, sans Micka, Inès, Julia, Roxane, Romain, Anthony, Marilou, Aurélie…

TU VOULAIS TE CRÉER UNE FAMILLE ARTISTIQUE ?

Inconsciemment, je crois mais je ne m’en suis aperçu qu’après. J’ai commencé à m’intéresser à la production après avoir écrit pour des artistes dont les spectacles étaient, à mon goût, mal produits et puis, j’ai rencontré Laura Laune. J’ai tout de suite capté son potentiel et je n’ai pas voulu la laisser entre de mauvaises mains. Je ne sais pas si je suis un bon producteur mais ce qui est sûr, c’est que je fais ça avec mes tripes et que je m’investis autant que si c’était moi qui montais sur scène. Pour son nouveau spectacle, Arnaud Tsamère a accepté que je l’accompagne lui aussi… C’est un véritable ami que je trouve hyper talentueux alors quand, suite à ses problèmes personnels, il m’a dit ne plus avoir la force de remonter sur scène, ça m’a rendu fou ! (rires) Dans l’absurde aujourd’hui, c’est le meilleur alors c’était inconcevable pour moi qu’il s’arrête ! Quand je le vois désormais sur scène, face à des standing ovation et que je retrouve cette flamme dans ses yeux, ça m’émeut énormément et ça me conforte dans l’idée que je ne fais peut-être pas si mal ce métier de producteur…
Bien sûr, c’est un business donc il faut que ce soit rentable mais je ne produis pas pour gagner de l’argent, je produis par envie et par passion et en effet, ça a fini par créer une vraie famille. Au bureau, l’ambiance est ouf ! (rires) On n’aurait pas pu rêver mieux avec Mickaël quand on a monté les boîtes de prod. On ne voulait pas être une société « normale » avec des horaires imposés, une hiérarchie ou un vouvoiement et surtout, on a tenu à ce que tous nos employés aient le même salaire car ils sont tous aussi importants les uns que les autres ! 

SCÈNE, ÉCRITURE, PRODUCTION, MISE EN SCÈNE, ÉDITION… TON SECRET ?

(rires) Mon vrai secret, c’est mon équipe et puis, les journées sont longues si tu utilises bien ton temps ! En revanche, c’est vrai que je n’ai pas de vie à côté parce que c’est ça, ma vie. Moi, ça me convient parfaitement, ce sont plus, parfois, les proches qui prennent mal que je n’arrive pas à trouver le temps de boire un café avec eux. Ce n’est pas une formule rhétorique ou une excuse bidon, je ne peux souvent pas. J’exploite mon temps au maximum, l’agenda est à la minute près, ça fonctionne bien comme ça et surtout, je m’éclate ! Si c’était un problème pour moi de travailler autant, je réduirais la voilure mais pour le moment je ne suis jamais « off » et c’est comme ça que ça me plaît et que je me sens réellement heureux ! 

UN SPECTACLE SUR LA SANTÉ QUI SE RETROUVE CONFRONTÉ AU COVID…

J’ai parfois l’impression que j’ai un 6ème sens ! (rires) Malgré tout, le spectacle tel que je l’avais écrit n’a pas tellement changé, le Covid m’a surtout fait ajouté un peu de texte. Dans Anesthésie générale, j’ai reproduit ce que j’ai fait dans les précédents spectacles en procédant à des recherches quasi journalistiques sur le sujet afin de mettre au point une analyse et une critique du système de santé français. Le Covid n’existait pas encore quand j’ai écrit tout ça, mais ça disait déjà que si un jour on était face à un gros problème, notre système ne serait pas en mesure de le gérer… Et le problème est arrivé donc ça n’a pas changé le fond de mes propos, j’ai juste « saupoudré » (si je puis m’exprimer ainsi) de Covid quelques sketches parce que ça illustre malheureusement parfaitement ce que je critique. Je pense qu’avoir vécu cette crise a permis aux gens de mieux faire raisonner mes propos dans leurs têtes. Il y avait tellement de choses à dire d’ailleurs que j’en ai fait un jeu de société qui comporte de très nooooombreuses cartes ! (rires)

POUR LA 1ÈRE FOIS, TU TE LIVRES SUR SCÈNE…

C’est la première fois en effet que je mets du personnel et de l’intime. Je parle de mon addiction à l’alcool et de mes problèmes psychiatriques mais il ne pouvait pas en être autrement. Quand je suis parti en cure de désintox, j’ai compris toutes les maladies invisibles que j’avais, j’ai compris qui j’étais et ça a complètement changé ma manière de vivre, de réfléchir, d’analyser donc à partir de là, ce n’était pas possible pour moi de ne pas expliquer aux gens les raisons de ces changements. Ce qui m’a permis de m’en sortir ça a été de me sentir compris. Quand les médecins m’ont dressé la liste de mes maladies invisibles, ça a été le plus beau jour de ma vie parce que ça faisait 30 ans que tout le monde me disait que j’exagérais, que j’étais fou, que je surjouais. À cause de ça je me suis renfermé, je me suis senti seul, j’étais attaqué dans ma tête par tous mes démons et je suis allé jusqu’à la tentative de suicide. Je ne trouvais pas ma place dans la société et de toute façon, mon comportement faisait que je ne pouvais pas l’être…
Entre cette cure et les réunions aux Alcooliques anonymes, je me suis senti compris et écouté et c’est là que j’ai saisi que la clef pour aller mieux, c’était de parler. Je me suis alors dit qu’aller sur scène pour aborder le sujet ouvertement en me sentant solide après m’en être sorti (pour le moment en tous cas), sans tomber dans le pathos et en étant vraiment sincère, ça pouvait aider plein de gens. Je suis d’ailleurs heureux de constater aujourd’hui, quand j’échange avec le public, que c’est le cas…
Tout ça a donné un spectacle sur la santé complet et original qui s’appuie autant sur des faits avérés que sur un témoignage personnel et c’est super efficace en termes de rires puisque je peux me permettre d’aller encore plus loin ! C’est moi qui parle de moi donc je n’ai strictement aucune limite ! (rires) Le seul deal, c’était que ce soit malgré le postulat de départ, quelque chose d’extrêmement drôle et je crois que c’est réussi. J’ai vraiment la sensation – sûrement aussi grâce à l’expérience acquise dans l’écriture et le jeu – qu’Anesthésie générale est mon meilleur spectacle !

© Propos recueillis par Morgane Las Dit Peisson au Théâtre Galli de Sanary-sur-Mer pour Le Mensuel