« Je suis celui qui va le plus loin sur scène »

12/04/2017

C'est l'un des one-man-shows les plus surprenants du moment, jusque dans son titre : "Vends deux pièces à Beyrouth". Un spectacle avec lequel l'humoriste Jérémy Ferrari veut réveiller les consciences en exposant divers faits (sur les origines du bordel actuel au Moyen-Orient notamment, ou sur les pratiques pas très morales de certains philanthropes), le tout en ambitionnant de faire marrer son auditoire. Un attelage qui fonctionne (Ferrari est un excellent bateleur) et remplit les salles partout en France. Interview avant son passage par le Zénith.


D'où vous est venue cette idée d'un one-man-show présenté comme le « premier spectacle d'humour sur la guerre » ?

Je n'en sais rien ! C'est juste que j'aime utiliser des thématiques pour les one-man-shows parce que je trouve que, sinon, on parle tous de la même chose. Faire payer 45 euros une place de spectacle à quelqu'un pour lui parler de sexualité, je ne vois pas l'intérêt. Je me suis donc posé la question du comment pouvoir être surprenant sachant que tous les thèmes ont déjà été traités. J'avais déjà fait ça pour mon précédent spectacle dans lequel j'avais parlé de la religion.

Et cette fois-ci je parle de la guerre… Vaste thème ! J'ai donc vraiment travaillé pendant deux ans et demi avant de commencer à l'écrire. Je suis retourné à l'école – comme je l'avais arrêtée très jeune – pour prendre des cours de géopolitique. J'ai aussi rencontré des généraux, des mecs de l'Otan, de l'Onu, des ONG, des militaires… J'ai fait un travail de presque journaliste en amont. Et à partir de ce moment-là, écrire a été facile.

Et comment avez-vous fait pour rendre ça drôle (car ça l'est) ?

Parce que c'est absurde ! La réalité est toujours très absurde. Par exemple, quand je fais le sketch de la station service et des frères Kouachi [les responsables de l'attentat contre Charlie Hebdo – NDLR] : le pompiste est forcément en train de regarder BFM TV comme tout le monde, vu que les mecs sont en cavale. Et là, les deux gars rentrent dans sa station-service. C'est une situation dramatique certes, mais absurde aussi, il ne devait pas s'y attendre !

Pareil quand je fais tout le passage sur le monde musulman : lorsque ça devient trop sérieux ou trop informatif, je fais une digression sur la reine d'Angleterre en l'insultant de manière totalement gratos pendant trois minutes parce que, là aussi, c'est absurde. Voilà pourquoi je trouve ça réducteur quand on parle d'humour noir à mon sujet – même si je l'accepte totalement. Car si l'on regarde vraiment la manière dont je travaille, je traite les sujets très noirs par de l'absurde.

Comme quand vous évoquez les attentats du Bataclan…

Quand c'est arrivé, je démarrais mon spectacle trois mois après. Je me suis vite demandé comment j'allais pouvoir traiter ce truc. J'ai cherché plein de manières détournées d'en parler mais je n'y arrivais pas. D'où l'idée d'y aller en frontal : je démarre le spectacle en informant les spectateurs qu'il est évident que l'on va se faire attaquer, donc on va s'organiser en faisant des équipes, pour désarmer le mec. Et tout d'un coup, le fait que ça soit aussi frontal, ça devient absurde.

En humour, quand on veut faire du noir mais que c'est finalement gris, ça ne marche pas. Il faut aller le plus loin possible pour que ça devienne surprenant, voire impossible, et que ça fasse rire les gens.

Votre spectacle marche très bien auprès du public, avec des salles immenses souvent complètes. Voyez-vous ce succès comme un besoin d'information des spectateurs sur ces questions très contemporaines ?

Je ne sais pas si c'est le thème qui attire le public… Quand j'ai commencé, on m'a dit que j'étais malade, que comme les gens entendaient parler de la guerre toute la journée, ils n'auraient envie de réentendre ça dans un one-man-show. Je pense plutôt que c'est le ton, totalement dans la vérité, qui plaît au public. Moi je ne fais pas de promesses pour rien aux gens – c'est pour ça que je reproche à certains humoristes de ne pas être suffisamment engagés.

Quand ils viennent me voir, les gens savent que je prends vraiment des risques : j'arrive sur scène avec des documents, je balance des noms… Je ne mens pas aux gens. Après ils aiment ou pas le spectacle, bien sûr, mais quand je leur dit "je suis celui qui va le plus loin sur scène, venez", je ne leur mens pas. Et si un mec un jour va plus loin que moi aujourd'hui dans Vends deux pièces à Beyrouth, et bah dans mon troisième spectacle j'irai encore plus loin que lui !

Vous avez un petit côté mégalo, notamment sur scène avec votre monologue de fin ou quand vous lancez des tacles à certains de vos collègues – comme Sophia Aram. Vous l'assumez ?

Le discours de fin n'est pas mégalo, c'est juste un mec en colère qui dit "j'emmerde, j'emmerde, j'emmerde"… En revanche, vous avez raison sur d'autres choses : quand je me mets à taquiner mes collègues humoristes, on peut voir de la mégalomanie. Mais pour qu'il y en ait vraiment, faudrait que je me prenne vachement au sérieux, et que je prenne le milieu des humoristes vachement au sérieux ! Alors que je suis vraiment au-delà de ça.

Ça me fait penser que j'ai fait une interview il y a quelques jours sur France info dans laquelle le journaliste me disait que Kev Adams, qu'il avait reçu avant moi, a évoqué la difficulté de vivre cette tension entre les humoristes. J'ai éclaté de rire ! Mec, tu vis mal la tension entre les humoristes ?! C'est-à-dire que dans ta vie, tu trouves qu'il y a une telle guerre entre les humoristes que tu le vis mal. Là c'est complètement absurde ! Parce que se vanner entre humoristes, c'est juste un non-événement. Et ce n'est donc pas de la mégalomanie. J'insulte quand même ma mère de pute pendant 10 minutes sur scène : à partir de là, je ne respecte rien, même pas mes parents ou moi-même !

On vous définit souvent comme un humoriste engagé. Mais on peut aussi vous voir comme un humoriste combattant…

Engagé, à force de l'entendre, j'emploie ce mot aussi. Mais c'est bien que vous posiez la question parce que, finalement, je ne me sens pas engagé. Car ça voudrait dire que je défends quelque chose, que je dirais aux gens de faire ci ou ça. Alors que ce n'est pas ce que je fais. Et dans le terme engagé, il y a un côté politique que je n'aime pas. En revanche, le mot combattant, oui, pourquoi pas. Parce que j'ai clairement cette volonté de faire bouger les choses et de foutre le bordel.


Par Aurélien Martinez pour le Petit Bulletin