Jérémy Ferrari à L’Olympia : “Je suis terrorisé à l’idée que ça s’arrête !”
Jérémy Ferrari vient d’avoir 28 ans et fait donc son premier Olympia. Pour le grand public, qui ne le connaît pas tout à fait, c’est sans doute prématuré. Pour ce jeune Ardennais qui arpente la scène depuis l’âge de 16 ans, c’est une étape presque logique dans un parcours qu’il a lui-même dessiné et décidé alors qu’il s’ennuyait au collège. Si nous découvrons depuis quelques mois son travail, Hallelujah Bordel est, en réalité, son quatrième spectacle.
Ferrari sait ce qu’il veut et où il va. Il le dit clairement : “Pour l’instant je suis un petit parmi les grands, même si je suis déjà un grand parmi les petits. J’espère devenir un grand parmi les grands”.
On trouverait cela banal s’il n’avait cette plume redoutable et efficace qui a donné les meilleurs sketches de la première saison d'On demande qu'à en rire et, plus récemment, du ONDAR SHOW. Comme il a du talent (ils ne sont pas si nombreux sur le terrain de l’humour noir), mille projets (dont un livre et un film), une grande gueule - plus aboyante au demeurant que mordante -, et qu’il plaît aux filles, Jérémy Ferrari agace. Le comédien le sait parfaitement, qui ne joue pas la fausse modestie. Quitte parfois à passer pour une tête à claques. Oui, oui, pour certains passages de l’entretien qui suit et que je publierai en plusieurs parties, Jérémy Ferrari aurait mérité qu’on lui tire les oreilles. À bonne distance, tout de même, depuis qu’on sait qu’il est ceinture noire de judo, qu’il pratique à un haut niveau le ju-jitsu, qu’il a enseigné les arts martiaux et qu’il a, entre autres petits boulots, exercé celui d’agent de sécurité dans des parkings et à l’entrée de boîtes de nuit.
Vous étiez inconnu il y a un an; aujourd’hui sans avoir une très grande notorité, vous déplacez un public de plus en plus nombreux. J’ai dû remonter jusqu’au 58 du boulevard pour faire la queue. Comment vit-on si jeune un tel succès ?
JÉRÉMY FERRARI (Rires). Je le vis bien et pas bien. C’est le passif qui détermine la façon dont on le vit. J’ai dû beaucoup me battre. Ça a mis beaucoup de temps avant de démarrer. Alors,oui, je suis très jeune mais je suis arrivé à Paris à 16 ans pour faire de la scène. J’étais seul, sans famille, sans rien. Je viens d’un milieu très modeste J'ai dû me débrouiller pour vivre. J’ai été agent de sécurité dans des parkings, des boîtes, groom avec le costume comme dans Spirou, j’ai vendu des chemises, j’ai bossé chez Orange…J’ai fait beaucoup de petits boulots parce que je n’avais pas de diplômes. Il m'est arrivé de manger des compotes de pommes, éclairé à la bougie !
C’est le lot de pas mal de comédiens et en même temps, quand vous le racontez, on a l’impression que vous écrivez déjà votre légende.
Pas du tout ! J’ai pas mal mangé, comme on dit, avant que ça n’commence. Je viens d’un milieu modeste et c’est pour ça aussi que je fais de l’humour noir. Je suis un gars du peuple auquel ses parents ont appris la valeur des choses. Je suis un vrai gars des gens, donc du coup, ce succès dont vous parlez, je l’ai vécu sereinement pour ce qui est de signer des autographes et même de gagner de l’argent. Je revenais de loin ! Je suis parti de 800 € mensuels et je gagne très bien ma vie aujourd’hui. Tout ce côté-là , je crois que je l’ai bien vécu. Mon entourage me trouve même plus humble (rires) et plus sympathique depuis que ça marche. Sans doute parce que j'ai moins à prouver et que j'ai moins à me convaincre moi-même, je crois que je laisse plus la place aux autres.
Vous dites "de ce côté-là, je l'ai bien vécu"; il y a donc eu d’autres aspects plus difficiles à assumer ?
Là où je ne le vis pas bien c’est que je suis absolument terrorisé à l’idée que ça s’arrête ! C’est une chose très problématique dont je parle souvent. Je ne profite pas des moments. Quand je fais une très grande salle comme la Cité des Congrès de Nantes, le Forum de Liège ou L’Olympia… la première chose que je me dis en sortant de scène c'est : "Peut-être que je ne le revivrai plus jamais". Ça me rend un peu boulimique de travail parce que je crains tellement que ça s’arrête que je m’investis dans plein de choses différentes.
Ce n’est pas si grave…
Oui mais du coup mon entourage et les gens que j’aime ont un peu de peine pour moi. Ils disent : "Tu ne profites pas des trucs!". J’ai l’impression que je profite uniquement sur scène. Même quand je prends du plaisir avec les gens, la scène reste la chose essentielle. Je pourrais me passer de tout mais absolument pas de la scène ! C’est l’endroit où je m’amuse le mieux. Ce côté-là, je ne le vis pas trop bien. Et puis, pour être tout à fait honnête, je culpabilise aussi de gagner en une soirée ce que mon père gagnait en un mois.
Laurent Ruquier, qui vous a mis dans la lumière avec On ne demande qu’à en rire ne vous donne-t-il pas des conseils sur ce chapitre ? Ruquier a souvent dit qu’étant le fils d’un chaudronnier, père de famille de cinq enfants dont la femme ne travaillait pas, il éprouvait ce même sentiment de gêne .
J’en ai effectivement parlé à Laurent. Il m’a dit de ne pas culpabiliser, qu’il fallait savoir donner, rendre, être généreux.
Laurent m’a dit que je n’avais pas à culpabiliser car cet argent je le gagnais ne donnant du plaisir et en distrayant les gens. Il m’a répété que ça n’était pas malhonnête, que c’était un métier où tout pouvait s’arrêter du jour au lendemain. C’est un coup de poker. C’est aussi un peu une roulette russe, ce métier. Laurent m’a dit qu’il fallait essayer de le vivre bien même si en venant d’un milieu comme le nôtre on ne peut pas tout à fait le vivre bien (rires).
Vous quittez Charleville-Mézières pour Paris à 16 ans. Qu’est-ce qui vous pousse à partir de chez vous si jeune ? Ce sont vos parents qui vous mettent dehors ou l’envie d’aller voir ailleurs?
C’est la deuxième solution. Ma mère est italienne; voir son fils unique qui part vivre tout seul (rires)…elle m’a plutôt tenu la jambe jusqu’au train. Je n’étais pas poussé à quitter la maison mais… (silence), il fallait vraiment que je parte. J’étais pas bien du tout. Je ne me sentais pas bien du tout à l’école.
Vous étiez en situation d’échec scolaire ?
Mais j’avais abandonné ! J’étais très bon en primaire parce que ça m’amusait. Arrivé au collège, ça commencé à ne plus aller. Je ne sais pas pourquoi. Je n’arrivais plus à travailler en cours, je m’ennuyais et je m’endormais. Le souvenir que j’ai de l’école, c’est une lutte perpétuelle contre le sommeil. Je m’endormais tout le temps.
Vous faisiez de la narcolespsie ou c’était juste pour embêter les profs ?
C’est à se demander ! Aujourd’hui encore, c’est terrible ! Si je parle avec quelqu’un et que la conversation ne m’intéresse pas, je m’endors. Je peux être dans un bar avec quelqu’un et m’endormir Je vous jure, c’est pas des conneries ! (Rires)
Ça ne doit pas être pratique pour séduire. J’imagine la fille qui se trouve au resto en face de vous et qui vous voit décliner.
Ah c’est sûr, ça va pas le faire ! Mais je ne plaisante pas. D’ailleurs quand j’ai travaillé chez Orange, j’ai dû suivre une formation de trois semaines. On nous expliquait comment vendre des forfaits SMS. Dès la quatrième minute, le mec de la formation a vu qu’il m’avait perdu. Je me suis mis au fond et je me suis endormi debout. La conseillère a tenté de me remotiver et je lui ai dit : "Quand ça ne m'intéresse pas, je m'endors. Votre truc, je vais l'apprendre parce qu'il faut que je le sache". Dans son effort de me remobiliser, elle m’a placé au premier rang et là, je suis retombé dans le sommeil. Donc à l’école, je m’endormais et puis, je n’étais pas d’accord.
Vous étiez déjà drôle, vous ! On ne va pas à l’école pour être d’accord mais pour apprendre, non ?
Le français, ça m’intéressait mais ç’a été le déclic pour moi et je me suis dit qu’il fallait que j’arrête l’école. En cours, on nous avait demandé de rédiger une dissertation sur la peine de mort : "Pour ou contre la peine de mort ?". Pour nous aider, le prof nous avait remis deux textes l’un en sa faveur l’autre contre. Le texte pour la peine de mort mettait en lumière les propos d’un mec qui ne savait pas aligner trois mots et dont les arguments étaient, de tout évidence, bidon. Pas besoin de sortir de l’ENA pour comprendre que le type était un crétin! Le texte contre était signé Victor Hugo, farouchement opposé à la peine de mort et incroyable défenseur de la liberté. Le Victor Hugo surprenant l’assemblée dans l’hémicycle lorsqu’il dit : "Comment pouvez-vous défendre cette chose alors que vous vous agenouillez devant quelqu'un qui l'a subie ?". Donc, je suis face à mes deux textes. Évidemment que je suis contre la peine de mort mais ce n’est pas le problème ! J’ai écrit au marqueur sur ma copie : "Je suis contre la peine de mort" et j’ai réclamé 20/20.
Je vous repose la même question que pour le sommeil : c’est de la provocation ou vous êtes “ailleurs”?
Je dis au prof : "Je réclame 20/20 car ce que vous me demandez c'est d'aller sans le sens que vous voulez et non de développer notre propre réflexion. Demandez-nous d'expliquer poirquoi on est pour ou contre la peine de mort mais ne nous faites pas croire que vous nous laissez la possibilité de réfléchir, ce n’est pas vrai !". ” C’était au début de ma Seconde, je suis resté deux mois et puis j’ai arrêté. Il y eu ce cours de français qui m'a fait définitivement rejeté le système scolaire et puis les cours d’Histoire. Quand on lit un peu on s’aperçoit qu’elle est enseignée différemment selon le pays où on la raconte. Ça les arrange ! Quand je lis aujourd’hui que Napoléon est l’une des personnalités préférées des Français, ça m’fait bien rigoler. Un conquérant ? Tu parles ! Surtout un tyran, un malade, un misogyne et un raciste !
C’est plus la pédagogie qui vous fait renoncer que les contenus eux-mêmes…
Oui et quand j’ai commencé à comprendre tout ça j’ai décidé d’apprendre par moi-même. Je me tromperais peut-être mais au moins je ne me ferais pas berner.
L’école est obligatoire jusqu’à 16 ans comment l’avez-vous quittée ?
Mon prof principal m’a ouvert la porte. Mes parents voulaient que j’aie le Bac et ils avaient fait une sorte de pacte avec moi : “Tu vas jusqu’au Bac, après, tu fais ce que tu veux !". On rencontre ce prof qui dit : “Jérémy, je ne sais pas ce que tu as comme projet mais déjà que tu galères, arriver jusqu’au Bac, ça me paraît…
De toutes façons, avec le Bac, on ne fait rien ! ". Je regarde ma mère et je dis : "Avec le Bac on ne fait rien ? Comme on avait prévu que j'aille jusqu'au Bac, si on ne fait rien avec le Bac autant que j’arrête maintenant !" Je me rappelle que ma mère n’était pas contente et qu’elle a dit au prof : “Bravo !”.
Vous aviez déjà ce sens de la répartie ?
Vous évoquiez un milieu modeste. Que faisaient vos parents ?
À la base, mon père était plombier et ma mère magasinière dans un commerce. Ils viennent tous les deux de milieux différents. Mon père est vraiment un mec de quartiers. Il a commencé à bosser à 13 ans, il faisait les vide-greniers…une vie un peu à la dure. Ma grand-mère maternelle possédait plusieurs commerces d’alimentation dont un dans un quartier populaire où vivait mon père. C’est dans l’un d’eux que mes parents se sont rencontrés. Ma mère y était employée et mon père est devenu magasinier. Comme c’était un quartier chaud, ils ont vu d’un bon œil que ce soit un mec du coin qui y bosse, ça évitait les histoires, les rackets…C’était un p’tit commerce de proximité avec une caissière et mon oncle qui faisait le boucher.
L’ambition de vos parents était-elle de vous voir reprendre leur commerce ?
Non, il n’y avait aucune obligation. J’ai eu beaucoup de chance, mes parents sont très ouverts d’esprit. Ils sont jeunes, ils ont 47 ans. Bon, quand mon père a su que je voulais devenir comédien, il m’a regardé de travers parce que c’est très éloigné de son univers à lui. Je parle de mon père car ma mère était plus ouverte. Mon grand-père maternel était journaliste et critique de spectacles; ma mère avait donc une plus large ouverture d’esprit sur le monde artistique. Mon père est quelqu'un qui à conscience de ne pas avoir conscience. Il a l’intelligence des gens qui disent : “Je ne comprends pas cet univers. Je ne comprendrai peut-être jamais. Ce que je comprends c’est que quand je te vois sur scène , je sens que tu fais quelque chose que d’autres ne peuvent pas faire. Donc, vas-y !”
Comment vous êtes-vous lancé ?
À 13-14 ans, j’étais inscrit à l’atelier théâtre du collège et j’étais plutôt bon. Je me rappelle que déjà en 6ème, j’arrivais à apprendre une pièce de deux heures dont tous les rôles étaient relayés par un nouvel élève au bout de 25 minutes. J’étais le seul capable d’apprendre mes scènes et l’intégralité de la pièce. Je n'avais pas de problème de mémoire mais des problèmes d'apprentissage et d'autorité. J’ai ensuite pris des cours particuliers avec Bruno Nion, alors directeur du Théâtre de Charleville, qui venait du Théâtre National de Strasbourg. Un jour Bruno Nion a dit à mes parents : “Vous pouvez le laisser partir”.
Il les a convaincus aussi facilement que vous aviez une place à prendre dans ce métier ?
Bruno Nion m’a d’abord proposé de monter mon propre spectacle et m’a programmé dans une salle de 700 places au Théâtre de Charleville. Il y a eu comme un phénomène en tout cas un intérêt certain pour ce gamin de 16 ans qui jouait seul sur scène un spectacle appelé “De sketch en sketch“. J’avais une heure à moi pour jouer trois sketches originaux et trente minutes où je reprenais Le Digicode de Marc Jolivet, Le Scrabble de Palmade, Le Lâcher de Salopes de Bigard et je faisais en rappel, L’Addition de Muriel Robin.
Les premiers sketches que vous avez écrits font-ils partie de Hallelujah Bordel ?
Non, ils étaient trop faibles. Quand on grandit, on devient meilleur. Il y en avait un sur les voisins que j’avais gardé pour mon deuxième spectacle (Ndlr : “Moi, méchant ?) mais c’est le seul. J’écris tout le temps et je me renouvelle beaucoup. Quand on écrit un bon truc et qu'on veut le garder absolument c'est qu'on pense qu'on ne peut pas écrire autre chose de bien. Je pense qu’un sketch télé doit rester à la télé. C’est une très grosse erreur de vouloir le déplacer de la télévision à la scène. Il n’y a pas la même éléctricité, la magie, c’est pas pareil. Il ne faut pas tout mélanger.
Vous tentez à 16 ans le difficile exercice du one-man-show. D’où venait cette ambition d’être seul sur scène et peut-être la “prétention” d’avoir quelque chose à dire ?
En fait, c’est parce que je m’ennuie dans la vie. Le quotidien m'ennuie énormément et me déprime tout autant. Je ne me lève pas le matin en imaginant que la vie est belle. Je ne suis pas rempli de joie. Comme le quotidien me rend triste il faut que je fasse tout le temps des choses. Pour avoir analysé le truc tout seul ou avec une psy, je crois que j'ai besoin d'avoir l'impression de ne pas vivre de la réalité. J’ai besoin d’avoir l’impression de survoler un peu. C’est pour ça que ce métier me faisait un peu rêver. Quand je fais une émission le matin, que l’après-midi je fais un sketch et que le soir, on m’emmène jouer, j’ai pas vécu une journée normale et ça me va très bien. Déjà à 16 ans, je m’ennuyais beaucoup et j’avais besoin de sensations. Ça me fait peur parce que je ne sais pas ce qui se passerait si ça s’arrêtait. Si demain on me prive de ça, franchement, je vais vachement... vachement... Bref.
Pourquoi trembler maintenant alors que ça démarre très bien et que vous savez pertinemment qu’il faut 10, 15 parfois 20 ans pour qu’un artiste s’accomplisse?
Moi, déjà, j'aime bien maîtriser les trucs et ça, je ne le maîtrise pas. Dans "On ne demande qu’à en rire", j’ai joué des sketches dans lesquels je raconte des trucs absolument odieux et tout d’un coup, il y a eu une espèce d’engouement. Je vois que j’ai 2000 puis 3000 puis 10 000 puis 100 000 fans sur facebook. Et ma prod m’appelle pour me dire “Là, on est plein” et tout d’un coup, il y a du monde partout même quand je vais jouer au fin fond de la Bretagne. On est complet dans des salles de 800 places dans un truc improbable. Comme je ne comprends pas fondamentalement pourquoi les gens viennent, je me pose des questions. Je comprends qu’on puisse aimer mon humour mais j’arrive pas totalement à comprendre cet intérêt soudain. C’est ce qu’on espère vraiment quand on est sur scène et quand ça arrive on est surpris, presque inquiet. Franchement, je ne m’attendais pas à cette multitude.