Jérémy Ferrari : "Je suis sans filtre, ça passe ou ça casse"

19/05/2016

Avec son humour corrosif et son one-man- show, phénomène de l'année, il enchaîne les triomphes et fait salle comble. Rencontre avec un drôle de sale gosse. Avec son spectacle Vends deux pièces à Beyrouth, sur la guerre et la religion, Jérémy Ferrari tente de comprendre notre monde détraqué, ou, à défaut, d'en rigoler. Et d'en faire rire sur un ton acide. VSD l'a rencontré pour comprendre d'où vient son côté < emmerdeur >. Extraits.


Vous avez grandi dans un quartier populaire de Charleville-Mézières entre les rayons du magasin d'alimentation familial. Ça a été une source d'inspiration?


Jérémy Ferrari. Oui, les clients écrasés par la vie, la drogue, la violence, l'alcool mais aussi le courage, la solidarité. Voir ceux qui sombrent, d'autres qui relèvent la tête.

Après avoir redoublé la troisième, vous quittez l'école en seconde.


J'ai surtout le souvenir d'avoir lutté contre le sommeil en classe, tellement je m'ennuyais. J'étais inadapté au système scolaire, rétif à l'autorité, à la hiérarchie. Je m'étais fait renvoyer après une altercation avec un prof de maths violent qui avait frappé ma voisine de classe. J'ai balancé la table, l'ai insulté. Puis, au bout de deux mois de seconde, on nous fournit deux textes en vue d'une rédaction :< Défendez votre position pour ou contre la peine de mort. > Je suis évidemment contre la peine de mort mais le texte pour était signé d'un débile profond et le texte contre, admirable, l'était de Victor Hugo. Face à cette manipulation, j'ai écrit sur ma copie : < Je suis contre la peine de mort et je veux 20/20 puisque c'est ce que vous voulez lire. > Depuis ce jour, je venais en classe sans stylo, sans bouquin. J'avais 1,5 de moyenne. À 12-13 ans, j'étais hypnotisé par les cassettes de Pierre Palmade, seul sur 
scène, qui donnait l'impression de personnages multiples. Cétait de la magie. Aujourd'hui, j'ai parfois des complexes par rapport à mon manque de culture.

À 16 ans, vous écumez les bals et les
maisons de retraite avec votre premier one-man-show.

 
Tout ce qui était possible, et beaucoup de salles vides. Un soir, le spectacle démarrait à 22 heures dans la salle des fêtes d'un bled paumé. Les trois quarts de l'assemblée étaient bourrés et personne ne m'écoutait car après moi il y avait une strip-teaseuse. Ils se sont mis à me lancer des bouchons de champagne et à applaudir quand ils me touchaient. J'ai continué ma prestation. C'est formateur, même si je reste angoissé

Vous avez aussi enchaîné les petits boulots.
 
Ah, ça oui! Groom, vendeur de chemises manutentionnaire, télévendeur, coursier à pieds, j'ai rempli des sacoches pour des séminaires de médecins, agent de sécurité au Stade de France... Ma vie m'a appris le quotidien d'une majorité des gens. J'ai vu mes parents perdre leur magasin, leur maison, vivre avec 600 euros par mois... Je ne serai jamais un artiste élitiste.
À 21 ans, vous incarnez Rimbaud dans la pièce Deux chaises vides, de Bertrand Mathieu, qui raconte le face-à face fictif entre Van Gogh et le poète de Charleville-Mézières.
 
Désabusé, Rimbaud, qui a déjà cessé d'écrire. rencontre dans un bar londonien Van Gogh, qui n'a pas commencé à peindre et travaille dans la galerie d'art de son frère.Je ne suis pas fan de théâtre, souvent surjoué, mais cétait magnifique.
Vous êtes sur le point d'abandonner la
scène lorsque, en 2010, Laurent Ruquier vous propose d'intégrer son émission "On ne demande qu'à en rire".
 
Cétait la misère, j'étais refusé à tous les castings, les festivals, les télés ou les radios. Je n'étais même pas intermittent du spectacle. Laurent a toujours été d'une bienveillance très intelligente avec moi.
En 2013, vous faites un tour chez Cyril Hanouna.

Ça avait bien démarré... Mais Cyril veut faire l'unanimité, ce qui n'est pas le cas de mes sketchs. Pendant la longue agonie de Mandela, j'annonçais sa mort toutes les semaines en disant:< ll y a bien un moment où j'aurai raison.> Une association s'est manifestée, il a eu peur. Dans < Les pieds dans le plat >, sur Europe 1, il lance ABC, le morceau des Jackson Five :< Une bonne manière de réviser son alphabet >.Je complète : < Et ses hépatites. > 
Il m'a expliqué quon ne disait pas ça le matin. Je suis sans filtre, ça passe ou ça casse. J'ai besoin d'être grisé par le danger sur scène. Ceux qui disent regretter Desproges sont les premiers à vous censurer en affirmant que l'humour radical est segmentant.
Hypocrisie!