Le Trio infernal de l'humour

14/11/2024

Avant de retrouver ses deux compères sur scène pour la Tournée du Trio, Jérémy Ferrari célèbre en grande pompe, avec eux, la dixième édition de ses Duos impossibles.


Malgré leurs projets solos respectifs, Jérémy Ferrari, Baptiste Lecaplain, et Arnaud Tsamere finissent toujours par se retrouver. C'est donc tout naturellement que le premier convie une nouvelle fois sur scène ses deux acolytes pour fêter en grande pompe les 10 ans des Duos Impossibles avec des sketchs inédits et des invités de marque tels que Florence Foresti, Ahmed Sylla, Paul Mirabel, Artus ou encore Armelle. Et s'il leur laisse le champ libre sur scène, sa parole domine en interview. Peut-être parce que cette soirée est la sienne. Rencontre avec un Trio bien rodé. 


Votre complémentarité est-elle toujours la même qu'à vos débuts ?

Jérémy Ferrari : Dès que nous sommes réunis, quelque chose de magique se crée entre nos univers. Des duos ou des trios, j'en fais entre cinq et dix par an depuis dix ans, et cette évidence n'est pas toujours simple à trouver. Quand nous sommes tous les trois, tout va très, très vite dans l'écriture. 

Justement, est-ce simple d'écrire à trois ?

J.F : Il y a une forme d'équilibre. Baptiste est certainement celui qui propose le plus de vannes à l'écriture. En revanche, la structure l'embête profondément. Moi, cela m'obsède au même titre que le rythme. Et souvent, Arnaud tranche. Baptiste préfère avant tout écrire des blagues, Arnaud, les jouer, et moi, voir le résultat net ! [ ils rient tous les trois. ]

Baptiste Lecaplain : C'est exactement ça !

Arnaud Tsamere : Il a raison. À l'arrivée, il y a des pourcentages de droits d'auteur, on s'y retrouve tous.

Jérémy, vous êtes dans un type d'humour assez mordant, Baptiste plutôt dans le quotidien, et Arnaud dans l'absurde...
J.F : Nous sommes un peu comme ça dans la vie, c'est la raison pour laquelle ce trio fonctionne. Arnaud nous fait rire Baptiste et moi parce que sa manière de voir la vie est souvent en décalage avec la normalité. Baptiste, parce qu'il nous parle à chaque fois pendant une heure de sa compagne, de ses travaux et de ses enfants. Et moi, je suis tout le temps énervé. J'ai cette agressivité naturelle. On caricature ensuite nos traits sur scène. 
Les sketchs peuvent parfois faire un peu désordonnés. Était-ce une volonté d'écriture de votre part ?
J.F : Totalement. L'humour, c'est la surprise. Si vous faites des choses qui sont en ordre, cela devient prévisible et moins efficace. C'est la recette du succès des Duos.
Accents, costumes, caricatures : vous jouez sur des ressorts vieux comme le monde. N'avez-vous pas peur que le public se lasse ?
A.T : Quand il ne s'agit pas d'un premier spectacle, il faut proposer ce que le public aime chez vous tout en apportant le juste dosage de nouveauté et de surprise. C'est n'est pas de la fainéantise ou de la naïveté d'écriture. Il ne faut pas se trahir tout en respectant les attentes des spectateurs.


J.F : Dans l'humour, il n'y a plus rien de nouveau. L'écriture et les sujets font la différence. Les mécaniques peuvent être similaires mais les vannes doivent surprendre. Quand Artus rejoue le personnage de Sylvain, ce n'est pas nouveau. Mais les gens sont tellement contents de le revoir ! Pareil pour Ahmed Sylla, qui refait un accent, ou Alban Ivanov qui imite un Gitan.

Vous évoquez souvent Guillaume Bats durant cette dixième édition...
B.L : On tenait vraiment à lui rendre hommage. On ne voulait pas se louper. 

J.F : Guillaume était la mascotte des Duos. Il était là tous les ans depuis le début. Nous sommes une petite famille. Nous aurions fait la même chose pour quelqu'un d'autre de la bande.

Vous employez plusieurs mots injurieux parfois proscrits aujourd'hui. Avez-vous hésité à faire certaines blagues ?
J.F : En tant qu'humoriste, il ne faut jamais réfléchir de cette manière. Si vous jouez un homophobe, vous devez utiliser le mot pédé. La dénonciation, la provocation et la caricature font partie de l'art et donc de l'humour. La dernière chose à faire serait de censurer les humoristes. Une société qui va bien est une société où les artistes sont libres.

A.T : On fait un métier très binaire : les gens rient ou pas. À partir du moment où tout le monde rigole, ça passe. Lorsque des humoristes se font virer de chaînes par exemple, c'est parce que leur blague n'était pas drôle. 
Pourquoi évoquer aussi frontalement des thématiques personnelles comme l'alcoolisme ?
J.F : On ne peut pas rire des autres tout en s'épargnant soi-même. Par exemple, Baptiste et Arnaud se moquent de moi parce que je suis allé pleurer sur le plateau de Sept à huit (en 2022). Ils disent que j'ai parlé de mon alcoolisme et de ma tentative de suicide pour relancer ma carrière. Quand vous faites de l'humour, il faut laisser le premier degré à l'entrée.

B.L : Les Duos, c'est une soirée inédite par an, donc il faut des moments forts. Jérémy avait déjà fait un spectacle évoquant sa tentative de suicide. Je trouvais drôle de lui rendre hommage en tordant le cou à ce sketch. 
Vous n'êtes pas tendres les uns avec les autres....
B.L : Ce n'est rien comparé au spectacle du Trio. Après certaines séances d'écritures, on était obligés de s'appeler en disant qu'on ne pensait pas ce qu'on avait dit !
Comment avez-vous abordé l'écriture de votre Tournée du Trio par rapport aux Duos Impossibles ?
J.F : On s'est pris la tête pour offrir au public un vrai spectacle avec un début, un milieu et une fin. Il y a beaucoup d'irrévérence, d'absurde, d'humour noir.

B.L : Et surtout, on se vanne très fort !

J.F : Personne ne pourra nous reprocher notre humour radical sur les autres puisque les pires passages sont sur nous et nos familles.
Arnaud, en mars, vous aurez 50 ans. Avez-vous des conseils à donner à Jérémy et Baptiste, qui sont au seuil d'une autre décennie ?
A.T : Sur la Tournée du Trio, je fêterai effectivement mes 50 ans et eux leurs 40. Ça va être super ! Ça me fait rire parce que mes dix ans de plus ont souvent été un sujet de plaisanterie entre nous trois. Ils commencent à avoir un poil blanc et des douleurs ici ou là. Je ne dis rien, j'observe et je souris. Les emmerdes démarrent pour eux. [ il rit ] 

Propos recueillis par Yoann Jenan et Alexandra Ayo Barro pour Télé-Loisirs.