« On est dans un monde où, de plus en plus, les gens font face à la désinformation »

03/03/2019

Jérémy Ferrari, aux commandes du Smile and song festival, bientôt de retour à Bruxelles, est un humoriste en colère. Ses cibles du moment : la désinformation, le lobbying de la santé, les ennemis des gilets jaunes.

Jérémy Ferrari n’a pas renié ses gênes journalistiques. Et se passionne, dès que nous lançons la conversation, sur l’actualité. Il nous apprend, en passant, que son prochain spectacle – qu’il prépare actuellement à la façon d’un journaliste d’investigation, dit-il – traitera de la question de la santé.

Vous utilisez l’investigation pour préparer vos spectacles ou vos livres. Ce sont les gênes de votre arrière-grand-père journaliste ?

C’est vrai. Et j’ai encore chez moi sa carte de presse. Mais le monde a bien changé, depuis l’époque de mon arrière-grand-père. On est dans un monde où, de plus en plus, les gens font face à la désinformation. On ne sait plus si on peut faire confiance à internet. Ni à la presse, possédée à 90 %, en France, par trois grands groupes industriels. La télévision se contredit en permanence. Tout le monde est dans une recherche permanente de productivité, qui est rarement synonyme d’humanité.

Le romantisme de la presse, métier jadis associé à une forme de résistance, aurait vécu ?

Je compare cette évolution dans le discrédit à celle du milieu de la santé. « Les journalistes disent la vérité », c’est devenu une vanne. Et « les médecins nous soignent bien », c’en est une autre.

Pourquoi les gens n’auraient plus confiance en la médecine ?
A cause de la productivité. Au départ, la médecine est un projet sociétal bienveillant. Les êtres humains ont décidé qu’on allait protéger les plus faibles, les personnes âgées, les bébés. Problème : aider les plus faibles, ce n’est pas rentable. Or, le système capitaliste exige de la productivité. Et aujourd’hui, vous obtenez des systèmes de santé qui font peur aux gens, parce qu’on ne sait plus si on est réellement soigné. On est face à plein de questions : pourquoi tant de médicaments sur le marché tuent des milliers de personnes… et pourquoi met-on des années à les retirer de la circulation ? Pourquoi tout est gavé de sel ? Pourquoi tout est gavé de sucre ? Pourquoi tant de cancers ? Pourquoi les lobbys les plus puissants, ce sont le tabac, les armes, l’alcool et la santé ? Que vient foutre la santé dans ces quatre lobbys ? Pourquoi les infirmières et les médecins sont exténués ? Pourquoi l’hôpital public est en train de se privatiser ? Pourquoi met-on à la tête des hôpitaux publics en France de purs financiers ? Tout ça est scandaleux.
D’où vient cette passion pour la question de la santé, qui fera l’objet de votre prochain spectacle ?
Beaucoup de gens dans ma famille ont eu de graves problèmes de santé. J’en ai perdu beaucoup, notamment du cancer. J’ai vu aussi beaucoup de gens qui ont eu des problèmes de santé mentale. Et puis personnellement, j’ai eu moi-même, il y a trois ans, des soucis. J’en parlerai sur scène. Je vais donner en quelque sorte mon bilan physiologique et psychiatrique. Des choses que je n’ai jamais dites, sinon à mes proches. Il y a trois ans, j’ai dû changer de vie pour me sauver, et me sortir d’un état qui était en train de me tuer. En étant de passage dans ce système de santé, j’ai vu trop de gens se battre avec de trop faibles moyens. Ou sans être informés. On désinforme les gens sur des choses scandaleuses, et que les puissances continuent de cautionner. Tout ça m’a mis vachement en colère.
Quel objectif visez-vous ?
Informer les gens. Il y a plein de gens qui vont mourir juste parce qu’on ne les aura pas bien informés. On est dans un système où on ment aux gens, pour des raisons de rentabilité. Dire la vérité n’est pas rentable. Dans le futur spectacle, je vais parler de l’alimentation, des labos pharmaceutiques, de la pollution, du sommeil, du sport… Comment fonctionne le corps humain ? Qu’est-ce que c’est, un cancer ? Il faut informer les gens. La médecine et la santé sont basées sur la confiance. Problème : un médecin généraliste peut vous prescrire des antidépresseurs, sauf qu’il n’a aucune formation de psychiatrie. Prescrire des antidépresseurs à un bipolaire, comme ça s’est déjà vu, ça peut se révéler catastrophique.
Vous ne devez pas être insensible au mouvement des marches de jeunes pour le climat...
Je les soutiens. Quelque chose bouge. Mais moi je suis très content aussi du mouvement des gilets jaunes… même s’il y a toujours une poignée de connards qui font n’importe quoi. Je les soutiens, parce qu’aujourd’hui, si tu ne descends pas gueuler dans la rue, il ne se passe rien, malheureusement. Il faut se faire entendre. Et rappeler aux gens au pouvoir que le pouvoir, c’est nous. Il faut continuer de se révolter et de se battre. Parce que rien n’est perdu. Et je veux que les gens arrêtent de dire « on ne peut rien faire ». Ce n’est pas vrai. Les gens sont forts quand ils sont réunis.

Les gilets jaunes stigmatisent les médias…

Je les comprends. Quand je regarde BFMTV, en France, franchement t’as envie de mourir ! Les médias veulent de plus en plus de clics. Ils s’en foutent que tu aimes ou pas. Tout ce qu’ils veulent c’est que tu cliques. Alors tout est bon pour ça, y compris, évidemment, les titres putassiers. Régulièrement, on me chauffe en interview avec de soi-disant polémiques. Quand c’est le cas, je refuse de répondre. Le problème, c’est qu’aujourd’hui même les journaux sérieux reprennent les prétendus clashs sur internet. Et en faisant cela, ils crédibilisent cette culture du « putaclic ». A force, les gens ne croient plus à la presse. La confiance est rompue. Alors oui, je fais partie des gens qui ont perdu un peu confiance. Heureusement il y a encore de très bons journalistes, des gens dans ce métier qui ont des couilles et une morale. Ne mettons pas tout le monde dans le même panier. Mais… il faudrait que ça se révolte en interne.
Entretien par Nicolas Crousse, pour Le Soir