L'humoriste Jérémy Ferrari, en pleine préparation physique avant la reprise de la tournée de son spectacle, évoque ses addictions, son rêve de devenir pro en ju-jitsu et sa nullité absolue en foot.
« Je ne pensais pas répondre au Mag L'Équipe un jour ! » Jérémy Ferrari est sincèrement surpris. Le sport, l'humoriste de 35 ans, découvert en 2010 chez Laurent Ruquier, en consomme pourtant à haute dose depuis l'enfance. L'effort est même devenu une bouée, après une quasi noyade dans les eaux sombres de l'alcoolisme.
Depuis septembre dernier, le comique oriente très sérieusement son mètre 75 et ses 75 kg vers le haut niveau en ju-jitsu combat. Et s'impose un programme de titan avec le coach Vincent Parisi, champion du monde 2012 de la discipline. Un bon entraînement également avant la reprise de la tournée-marathon de son spectacle, Anesthésie générale, qui a pour thème la médecine.
Vous parlez assez peu de votre passion pour le sport. Elle est pourtant antérieure à votre passion pour la comédie.
J'ai commencé les arts martiaux à 6 ans. D'abord le kung-fu, ensuite le judo car mon père était ceinture noire. À 15 ans, c'est le ju-jitsu, plus complet, qui m'a passionné : j'adorais le mélange pieds-poings et sol. Quand je suis arrivé à Paris pour devenir comédien, j'ai continué de le pratiquer. Je progressais, et puis mes spectacles ont commencé à marcher. Alors, j'ai fait une croix sur les compétitions pour me concentrer sur ma carrière. À regret.
Pourquoi étiez-vous attiré par les arts martiaux ?
J'ai toujours eu un trouble de l'attention : ce n'est pas moi qui décide, c'est mon cerveau. Les sports de combat sont très instinctifs. Face à une attaque, on n'a pas le temps de réfléchir. Ça me correspondait bien, d'autant que ça permettait de canaliser mon hyperactivité. C'était presque une prescription médicale. Les arts martiaux sont aussi les seuls sports que j'aime bien regarder. Le MMA, c'est d'une technicité délirante. Au sol, on a l'impression que les combattants ne font rien alors qu'ils s'épuisent à se dégager doigt de pied après doigt de pied.
« Je demande au gars à côté de moi : ''Tu sais un peu jouer au foot ?'' Et là, il me répond, vexé : ''Je suis Marcel Desailly, je suis champion du monde '' »
Le football a-t-il néanmoins éveillé votre curiosité, sachant que vous avez grandi à Manchester ?
(Rires.) Vous faites référence au nom du quartier populaire de mon enfance, à Charleville-Mézières ! En fait, je suis très mauvais en foot comme dans tous les sports collectifs. Il faut être attentif aux autres sur le terrain et mes troubles m'en empêchent. Pour vous donner une idée, je suis allé au Marrakech du rire organisé par Jamel Debbouze. Il avait prévu un match entre des personnalités et des footballeurs. On me place avant-centre, mais je ne sais pas ce que je dois faire. Alors, je demande au gars à côté de moi : ''Tu sais un peu jouer au foot ?'' Et là, il me répond, vexé : ''Je suis Marcel Desailly, je suis champion du monde.''
Rien qu'en septembre, vous allez enchaîner seize dates de spectacle. Le sport est-il une bonne préparation à la scène ?
J'écris des spectacles qui me ressemblent : très physiques. Pendant le show, je cours, je saute, je braille... On a calculé que je dépense parfois 2 000 calories pendant une représentation. Mes entraînements m'aident à tenir. Avec mon profil psychiatrique compliqué, ils sont aussi essentiels à mon équilibre. Tout comme mes autres piliers : un entourage sain, une hygiène de vie irréprochable et un suivi thérapeutique. Si j'en enlève un, ça ne va pas. Jeune adulte, ces bases n'étaient pas aussi solides et j'étais très instable émotionnellement. Sans le sport, j'aurais sombré dans l'alcool plus tôt.
« Le soir, je me couchais en ayant vidé six bouteilles de rosé pendant la journée. J'ai perdu les pédales pendant trois semaines »
Et pourtant, vous racontez dans votre spectacle, ''Anesthésie générale'', que vous êtes tombé dans cette addiction...
J'avais l'habitude de boire trop. Je supportais bien l'alcool et je ne connaissais pas la gueule de bois. Vers 29 ans, alors que ma carrière était lancée, j'ai augmenté les doses progressivement et j'ai fini par boire dès le réveil et toute la journée. Le soir, je me couchais en ayant vidé six bouteilles de rosé pendant la journée. J'ai perdu les pédales pendant trois semaines. Une situation rendue explosive avec ma prise de médicaments. Jusqu'à ma tentative de suicide, en 2016, quand j'ai grimpé sur le rebord de la fenêtre de ma chambre d'hôtel, perchée à 15 m de hauteur. Mon meilleur ami est arrivé et j'ai fini par rentrer en catastrophe en l'implorant de m'enfermer dans un hôpital. La cure de désintoxication était inévitable.
Que vous ont dit les médecins ?
Ils ont posé tous les diagnostics que j'aurais dû entendre auparavant. J'ai compris que j'étais atteint de maladies invisibles, celles dont je parlais au début de notre entretien (troubles obsessionnels, dépendance et hyperactivité). Ces pathologies me procuraient des pulsions, des colères, des paranoïas... Cela m'a fait briser des couples ou me séparer d'amis. J'étais malheureux en permanence. Et le succès amplifiait tout car je m'apercevais que la reconnaissance, que j'avais toujours recherchée, ne calmait rien. Sur scène, j'étais heureux et, quand je sortais, c'était insupportable. L'alcool ne m'a jamais aidé à écrire des vannes. D'ailleurs, je ne crois pas les artistes qui disent que ça aide à créer. C'est une trop bonne excuse pour plonger. En revanche, il calmait les images horribles dans ma tête.
« Avec le soutien du public, le sport a été mon antidote. Mon spectacle parle de santé et le sport est assurément un bon médicament »
Quel rôle a joué le sport dans votre réparation ?
Avec le soutien du public, ça a été mon antidote. Mon spectacle parle de santé et le sport est assurément un bon médicament. Après ma cure, j'ai recommencé à m'entraîner sérieusement. J'ai compris qu'après une séance de sport, mon cerveau me laissait momentanément tranquille. Et puis, j'étais dans une forme d'autodestruction et l'activité physique intensive, par la souffrance qu'elle génère, est un bon palliatif. J'ai vraiment remplacé une addiction par une autre. Aujourd'hui, j'ai moins de sautes d'humeur et je cache mieux mes colères. Mais, c'est un travail de tous les jours.
En septembre dernier, vous vous êtes lancé un nouveau défi : participer à des tournois de ju-jitsu combat.
Pour les besoins d'un film, j'ai voulu apprendre la lutte sénégalaise. Je suis allé à Dakar m'entraîner dans des clubs locaux. À mon retour, j'ai demandé à Vincent Parisi de me préparer. Il m'a dit qu'il fallait que je double mes heures d'entraînement. Depuis, on se voit au moins cinq fois par semaine pour deux heures de sport. Je lui ai confié que j'avais un petit regret de ne pas avoir assez combattu quand j'étais jeune. Il ne fallait pas le lui dire deux fois ! Il m'a convaincu que j'avais le niveau suffisant pour tenter de participer prochainement à des tournois régionaux. Et pourquoi pas aux Championnats de France. L'objectif est élevé, mais si je ne réussis pas, j'aurais au moins tenté. Et pour l'humilité, c'est intéressant de partir de zéro dans une nouvelle activité.
Vous menez des enquêtes presque journalistiques pour préparer vos spectacles. Le sport pourrait-il être un bon terrain d'inspiration ?
Oui, mais peut-être pas pour tout un show. Dans Anesthésie générale, pour la première fois, je mélange la recherche d'infos avec mes expériences personnelles. Peut-être que je parlerai un jour des séances de torture de Vincent ou de mes combats en ju-jitsu. La difficulté est toujours de rendre cela drôle. Quand je suis sur scène, j'évoque ma tentative de suicide et mon alcoolisme, mais avec des vannes. J'aurais détesté que le public sorte en bredouillant : ''C'est touchant.'' Je veux que les spectateurs disent : ''Je me suis bien marré.'' Et si c'est : ''Qu'est-ce qu'il est musclé !'', je prends aussi (rires). »
Par Mathieu Rocher pour L'Équipe