Santé mentale «A 25 ans, j’atteins mon Graal… et je sombre»

12/01/2023
Article écrit paNicolas Crousse, journaliste au service Culture du journal Belge Le Soir 
Avec « Anesthésie générale », que vous présentez bientôt à Forest-National, vous vous penchez sur le thème de la santé, en passant d’abord par votre propre histoire…

Le spectacle est fait, comme les précédents, de documentation et de rencontres, pour dénoncer ce qui me semble être injuste dans ce système qui abandonne son service public et son système de santé. Et d’un autre côté, effectivement, il y a une partie beaucoup plus personnelle, où j’ai décidé de me livrer, pour plein de raisons. Notamment parce que je ne me sentais pas capable d’affronter le public sans lui expliquer ce que j’avais vécu, et qui a changé beaucoup de choses dans ma vie. Aussi, parce que je m’en suis sorti sans médicament, avec une liste de troubles psychiatriques assez denses, avec de gros problèmes d’addiction. Je m’en suis sorti sans traitement. Juste par la parole. En échangeant, en me confiant, en écoutant. Apporter cette parole sur scène, c’est plein de sens, pour moi.

Avez-vous compris comment votre vie, qui était marquée par un succès artistique de plus en plus grand, a pu basculer ?
J’ai des maladies depuis que je suis petit. J’ai un trouble de l’attention et d’hyperactivité. Je suis haut potentiel. Je suis obsessionnel compulsif. Je suis addict. Je me retrouve avec ce cerveau, qui est à la fois génial et complètement déstructuré. Ce que je vis m’apporte des choses incroyables dans mon quotidien, une force de créativité, une capacité de travail énorme. Mais d’un autre côté, ça m’apporte de la tristesse en permanence, des horreurs dans ma tête, des pensées sombres, une incapacité à me sentir bien avec les gens, des angoisses permanentes, des insomnies… Le cerveau ne s’arrête pas. J’œuvre avec tout ça et je cherche des réponses que je ne trouve pas. À 25 ans, j’ai du succès, je suis convaincu que ça va tout éteindre, parce que j’atteins un Graal. Et en fait pas du tout. Tout à coup, j’ai l’argent, la célébrité, je deviens un des humoristes préférés des Français. Je monte mes boîtes de prod, ça marche. J’écris des bouquins, ça marche. Tout marche… Et en plus, comme je voulais, sans me corrompre, en étant intègre. Et je suis tellement triste… Les psys me disent que je n’ai rien. Et moi, j’ai tous ces trucs dans ma tête qui s’amplifient, le succès n’arrangeant rien. Et je sombre. Parce que je me dis que plus rien ne pourra me sauver. Vous avez du succès et vous êtes toujours aussi malheureux. Donc, ce n’est pas le succès qui fait vriller. Mais comme le succès ne comble rien, on ne voit plus d’issue. Et c’est ainsi qu’on sombre. C’est ce qui m’est arrivé. Grande descente vers la dépression. Tentative de suicide. Alcoolisme. Je bois six litres par jour. Je me retrouve au bord de la fenêtre. J’ai envie de me flinguer. Après, cure de désintox. On me fait un diagnostic. On m’explique, et ça va mieux. L’alcool, c’est une maladie neurologique, voilà ce que ça fait. Il vaut mieux éviter les médicaments, me dit-on, parce que comme tu es addict, tu es addict à tout. Après ? Hygiène de vie. J’arrête de boire. Alcooliques anonymes. J’arrête la cigarette. Je vais dormir tôt. Mais je me suis battu. Je me répète : je ne serais pas qui je suis sans mon acharnement.
Faire les alcooliques anonymes, quand on n’est pas anonyme…
C’est un problème. Au bout d’un moment, j’ai arrêté, pour ça. Au début, j’ai trouvé plein de subterfuges. Je changeais souvent de groupe. Je mettais une casquette. Je me mettais au fond. J’arrivais en dernier. Mais au bout d’un moment, les gens ont fini par me reconnaître, et j’ai arrêté, parce que le regard sur moi changeait, les règles d’anonymat étant biaisées. Mais au moment où j’ai arrêté, ça allait déjà bien.
Comment allez-vous, aujourd’hui ?
Très bien. Après, j’ai compensé par d’autres excès. J’ai monté six sociétés, j’ai fait plein de spectacles. Comme je ne bois plus, j’ai une énergie incroyable. Je suis tombé dans l’autre extrême : je fais hyper attention à moi, je fais beaucoup de sport, j’ai arrêté le sucre, le café. Mais désormais, si j’ai bien travaillé dans la journée, je dors très bien. Je me couche et en cinq minutes, je dors. Et la capacité de dormir me sauve.
Que vous inspire votre parcours, depuis vos premiers pas à Charleville ?
Depuis peu, j’arrive à être fier de ce petit garçon, puis de ce jeune homme qui se sont débrouillés tout seuls, sans avoir les armes que j’ai maintenant. C’est pour ça que je ne regrette même pas les périodes où j’ai bu, parce qu’honnêtement je n’avais rien d’autre pour calmer ma tête. Je n’avais que l’alcool. Alors je n’ai pas honte. Je regrette juste certaines choses que j’ai pu dire ou faire en ayant bu. Quand je regarde ce parcours, je me dis qu’on n’est qu’au début. Mon objectif ? C’est de la folie. Je veux conserver tout ce que j’ai, en plus gros, et conquérir tout ce que je n’ai pas conquis. C’est un peu problématique… J’espère que je trouverai une sérénité, à un moment donné.
Qu’aimeriez-vous transmettre ?
Ceci : que les gens se disent « on peut réussir en étant honnête. On peut gagner de l’argent sans niquer les autres. On peut faire sa place sans écraser les autres. »