“Si on est méchant pour les bonnes raisons, on parle à tout le monde”
Il sera question de culture, des références de Jérémy Ferrari en matière d’humour, de la notoriété, de portables qui volent et d’écriture évidemment. C’est délibérément que je ne suis pas revenue sur la polémique autour du Téléthon avec Guillaume Bats, Sophie Davant… Je pense que les sketches qu’a faits Jérémy Ferrari à la télé (Handi Cap/Handi pas Cap, Intouchables etc…) évoquent davantage et mieux la question du handicap que les shows larmoyants et toutes les personnalités débordantes de compassion et de pitié dangereuses.
Donc, on a parlé encore de tout… et dans lequel nous évoquerons son argent, sa nouvelle vie, ses rêves de cinéma - devant et derrière la caméra -, le sexe et la drogue aussi ? Non, mais vous vous croyez où ? Allez, c’est reparti !
Vous me disiez être étonné pas l’enthousiasme que vous suscitez. Moi, ce qui m’a surprise c’est la variété de votre public parmi lequel on trouve de nombreuses filles qui hurlent : "Jérémy, je t'aime !". J’avais l’impression parfois d’assister à un concert de One Direction ou Justin Bieber.
C’est pour cela qu’il y a du monde. Je ne parle pas des filles mais du mélange. Au début, ce sont les jeunes qui sont venus et ils ne s’attendaient pas à un spectacle original. Ils pensaient voir quelque chose de plus léger dans le style des sketches proposés à la télé. Ça passait ou ça cassait. Bizarrement, c’est passé. J’aurais pu perdre tout mon public avec Hallelujah Bordel, qui est spécial. En fait, les jeunes ont adoré - j’ai eu de la chance aussi ! - parce que je crois que je tombe dans un inconscient collectif. Cette nouvelle génération n'en peut plus de ces histoires de couleur, de sexualité, d'identité ! Elle n’est plus là-dedans.
En êtes-vous si sûr ?
Je vous trouve bien optimiste.
Il y a toujours des racistes, des homophobes, des cons…mais cette génération a dépassé ça. Quand Lepen s’est présenté au Second Tour de la Présidentielle en 2002, je ne sais pas si vous vous rappelez le nombre de jeunes qui sont descendus dans la rue. Je vais avoir 28 ans (Ndlr: cet entretien a eu lieu fin mars), je suis de cette génération. Quelqu’un qui est bi, homo… ça n’est plus un sujet de conversation. Il y a vraiment une bascule qui est en train de se faire et je crois que Hallelujah Bordel, va vachement loin dans les propos et peut-être un peu plus loin que ce qu’on a l’habitude de dire sur les Musulmans. Je crois que ça fait du bien à tout le monde. Les gens se disent : “Ce gars, il s’en fout !”. Et moi, je n’appartiens à aucune minorité. Souvent, on laisse dire des choses à quelqu’un parce qu’il est black, homo, juif, rebeu etc…On pense qu’il a une légitimité à dire ça. Je trouve qu’il n’y a pas plus raciste que de dire ça ! C'est horrible de penser que tel mec a une légitimité parce qu'il appartient à telle minorité, telle communauté. Moi, je ne fais partie d’aucune communauté. Je suis arrivé en disant : “Je fais ce que je veux et je vous emmerde !”. Ça a fait du bien et ça a convaincu les jeunes. Il sont venus avec leurs parents, leurs copains, un grand frère etc… et plus j’avais de monde plus j’avais de ‘vieux’ (sourire). Récemment, j’ai joué dans deux centres culturels devant des personnes qui avaient entre 45 et 70 ans.
Ce succès soudain justifie-t-il le prix des places élevé? J’ai entendu dire -et c’est l’occasion de vous expliquer- qu’à Noël dernier vous aviez joué dans une grande salle de Lyon dans laquelle on avait aménagé un carré d’or dont les places étaient proposées à 110 euros. Pouvez-vous me le confirmer ?
Oui, je le confirme. C’était le soir du Nouvel An à L’Auditorium.
Comment est-ce possible ?
Mais ce n’est pas possible. Quand j’ai appris ça…Vous êtes au courant de l’histoire totale ou pas ?
Non, on ne m’a évidemment parlé que du prix des billets.
Je suis un artiste qui surveille beaucoup et qui surveille tout ce qu’il fait. Tous les vendredis, on a un pointage avec toutes les salles de France et on sait combien de places on a vendues. Je suis tout. Et comme je suis complètement paranoïaque, j'ai l'impression qu'on va m'annoncer que je ne remplis plus. Donc, toutes les semaines, je demande les pointages de chaque ville. Si on a quatre-vingt-dix salles, je demande tout ! Ça prend une heure et demie, ils n’en peuvent plus à ma prod, ils deviennent fous ! Nouvel An, Lyon, normalement, ce sont des salles qu’on doit remplir comme ça. Et là, je vois que ça ne remplit pas tant que ça. Pour moi, deux mois avant le Nouvel An, on doit être autour de 6 à 700 places vendues sur 1000. Or je vois qu’on plafonne à 200, 300, 400. J’interroge ma prod. Je demande pourquoi cette date traîne un peu. C’est bizarre. Quand on part en tournée, on «laisse» parfois le spectacle à un promoteur local… Je me renseigne par moi-même et là, je découvre que les places sont à 180 euros.
Et certains de vos fans les ont achetées. Qu’avez-vous fait pour réparer cette incohérence ?
Je pense que le directeur du théâtre, je ne sais pas s’il y avait des gens autour de lui, mais les voisins au-dessus ont dû m’entendre tellement j’ai hurrrrrrrlé en lui demandant pour qui il se prenait pour mettre des places à 108 euros ! Je lui ai demandé de retirer immédiatement les places à 108 euros et de remettre les places au prix normal. Et surtout, quand je suis arrivé sur scène…
Excusez-moi mais «le prix normal», c’est combien ?
35-40 euros et peut-être 45 à 50 euros parce que c’était le Nouvel An. En tout cas, c’étaient des places dans les prix du marché. Et quand je suis arrivé sur scène, j'ai demandé qui avait payé 108 euros et je leur ai dit qu'on allait les rembourser. J’ai donné le nom du promoteur local qui s’appelle Stéphane C, et j’ai dit aux spectateurs concernés que c’était lui qui les rembourserait. Donc, je crois que j’ai réagi de façon plutôt correcte.
Donc tout est clair ?
Vous pouvez vérifiez, hein ! Vous tapez sur Internet : “Jérémy Ferrari rembourse des places”, vous verrez des forums où des gens racontent que ce soir-là j’ai demandé à ce qu’on rembourse la moitié du prix. Si vous fouillez un peu sur mon Facebook, vous verrez que le 31 décembre j’ai fait un mot d’excuses disant que je n’avais pas vu que le prix des places était scandaleux. Des places à ce prix, ça c’est scandaleux ! 110 euros, c’est du vol !
C’est un prix qu’on est prêt à payer pour Madonna, Johnny, Les Stones…un concert de star du rock ou de la pop au Stade de France.
C’est totalement du vol ! Et le soir-même, j’ai fait une impro là-dessus, où je démonte le promoteur local. J’ai écrit un sketch sur les pères de famille qui devaient choisir entre nourrir leurs enfants ou venir voir mon spectacle. Croyez-moi, il a eu les oreilles qui ont sifflé pendant longtemps. Il s’est sauvé !
Vous écrivez aussitôt un sketch pour le soir-même. L’écriture est-elle un exercice facile ?
Alors oui, franchement ! Je ne vais pas faire le modeste, c’est vraiment mon point fort. J’écris assez vite. Là, pour le coup, j’ai eu de la chance, j’écris vraiment comme ça (Ndlr : il balaie l’air de la main pour décrire l’aisance des choses). Et surtout, je suis un peu un 4×4 dans l’écriture. Je sais écrire plein de choses différentes. Je m’adapte bien. J’arrive à écrire pour Constance. Je lui ai demandé ce qu’elle voulait raconter. J’arrive très vite à me mettre dans la peau d’une femme. Idem quand j’ai écrit pour Guillaume Bats.
Guillaume Bats qu’on a découvert à travers vos sketches dans On ne demande qu’à en rire, le ONDAR Show et lors du Téléthon.
Guillaume Bats est comédien. Je ne le connaissais pas mais je le croisais dans les coulisses d’On ne demande qu’à en rire. Il m’avait contacté pour que je lui écrive des sketches pour la télé et je lui ai dit : “Je n’ai aucun intérêt à t’écrire des sketches si je n’écris pas ton spectacle !”
Ça au moins c’est cash !
Il a réagi comme vous : il s’est marré ! Ben, c’est vrai, quoi ! Je n’avais aucun intérêt ni financier ni artistique à lui écrire des sketches pour On ne demande qu’à en rire. J’ai été très clair : «Je vais te construire ton image, remplir ta salle, pourquoi au juste ? Parce qu’écrire des sketches pour la télé c’est très long. Je ne vais pas le faire pour des clopinettes ! Artistiquement, je n’ai aucun intérêt ! Sois j’écris tout, je suis ton auteur attitré et je t’aide à développer ton truc; soit rien !».
Vous ne vous embarrassez pas de formalités !
Ben, non. Alors Guillaume m’a dit qu’il a déjà un spectacle prêt. J’ai répondu : «Si t’as un spectacle, tant mieux ! T’as pas besoin de moi pour t’écrire des sketches !» Et puis je l’ai appelé pour le sketch L’Adoption pour les nuls. Il pensait que c’était pour le convaincre. Je lui ai dit : «Non, j’ai besoin de toi pour un sketch, c’est tout !». On a fait ensemble L’Adoption pour les nuls et il s’est passé quelque chose.(Ndlr: silence). C’est mon tube, on a fait 2 millions de vues sur Internet. Pour moi, c’est mon plus beau sketch ! Ce sketch-là est aussi émouvant et à la fin, les gens ne savent pas s’ils doivent pleurer ou rire. Ensuite, j’ai lu le spectacle de Guillaume, j’ai proposé de réécrire et je l’ai aidé à sublimer ses idées.
Un humoriste qui vous sollicite comme auteur trouve-t-il sa place dans le processus de création de son show ?
Je ne suis pas un auteur vampirisant. On pourrait le croire parce que j’ai une forte personnalité et un univers très marqué mais je sais m’adapter aux gens avec qui je travaille. Je pars toujours du principe que le travail d’auteur pour un humoriste est analogue à celui du parolier pour un chanteur. Quand un mec écrit pour Johnny, il le rencontre, passe des soirées à se bourrer la gueule avec lui, lui demande de lui raconter des choses de sa vie et revient avec la chanson. C’est comme ça qu’on peut avoir de la sincérité auprès d’un interprète qui joue quelque chose qui n’est pas son texte propre.
Combien d’heures par jour consacrez-vous à l’écriture ?
J’écris cinq à huit heures par jour. Je bosse sur des trucs différents. Il y a des sketches évidemment mais aussi le film. Quand ça a commencé à bien marcher, je me suis dit qu’il fallait vite en profiter ! Donc, je suis allé toquer à aux portes de producteurs.
(grand éclat de rire).
Qu’est-ce qui vous fait rire ?
Votre façon d’amener les choses. Cette peur du lendemain. Je ne m’en moque pas, en temps de crise c’est plus que réaliste, mais je me demande si vous savourez seulement l’instant présent. Pas le fait que je sois en face de vous, mais ce qui vous arrive. Plus de 150 000 personnes sont venues vous applaudir !
Oui, mais j’arrive pas. J’ai peur qu’on m’empêche de faire mon métier et d’être contraint de faire autre chose. Déjà quand je fais ce métier, je ne suis pas toujours heureux, alors quand je fais autr’chose ! C’est pour ça que j’ai très peur. Donc, je suis allé voir des producteurs et Philippe Lefèbvre, le mari de Catherine Barma, a acheté mon scénario. (Ndlr : il s’agit de Philippe Lefebvre producteur et réalisateur, entre autres, du sublime polar Une Nuit avec Roschdy Zem. Et non du comédien homonyme vu dans les films de Guillaume Canet et également réalisateur du navrant film Le Siffleur ).Donc, je suis parti en écriture. J’ai rendu la version 1 qui est à l’étude…Le titre de travail c’est Les Déconseillers. C’est une comédie chorale sur le chômage. Ce sera un film au ton subversif, plein d’humour noir comme j’aime.
Vous faites de l’humour noir aujourd’hui mais de quoi votre écriture se nourrissait-elle à 16 ans ?
C’était déjà très noir. Je faisais des sketches sur les femmes battues, le racisme…
Et vous partiez de quoi : d’un fait divers, d’une réflexion ou d’une expérience personnelle ?
Ma tante a adopté un petit garçon malgache dont je suis le parrain. Il est trop mignon !(Rires) Quand il est arrivé en France, il a découvert que les interrupteurs donnaient de la lumière. Mais comme il a grandi avec des bougies, au début, il soufflait sur les ‘interrupteurs. La copine d’un de mes oncles rencontre un jour ce gamin, lors d’une réunion de famille, et dit en le regardant : «En plus, ça lui va bien cette couleur» (rires). C’était pas méchant mais ça n’a aucun sens !(Rires). J’ai tellement ri que j’en ai fait un sketch qui est d’ailleurs passé sur Rires & Chansons. J’avais écrit un sketch sur un mec qui avait adopté un p’tit Black et qui arrivait chez son meilleur ami. Il lui demandait d’être parrain alors que le type est raciste. C’était odieux car on n’avait jamais fait du racisme sur un enfant. Là, pour répondre à votre question, je me suis nourri d’un truc vécu. Quand je parle de pédophilie, je n’ai pas subi d’attouchements ni d’actes pédophiles.
Si cela vous était arrivé vous en parleriez ?
Peut-être. Franchement, je n’suis pas sûr (Ndlr : silence). J’ai vécu des choses dures dans ma vie et j’en parle. Je ne dirai pas quoi parce que je ne veux pas crédibiliser certains de mes trucs. Je ne me servirai pas de mon expérience personnelle pour dire : «Je l’ai vécu donc j’peux en parler». Mais j’ai vécu des trucs vachement durs et j’en parle. Donc, peut-être, peut-être pas, mais peut-être.
Cela veut-il dire que vous vous sentez hanté par de nombreux démons ?
Ah ben oui ! Je ne suis pas un gars hyper…euh, je ne suis pas le mec le plus serein de la terre ! Et tout mon travail depuis le début se nourrit de ça. Dans De sketch en sketch, j’évoquais déjà le racisme, les femmes battues. Ensuite j’ai dû écrire d’autres sketches pour avoir mon spectacle propre à 100%. A 17 ans ½, je jouais Moi, méchant ? au Théâtre de La Providence, un spectacle que j’ai joué deux ans près de 300 fois. Puis en 2007-2008, il y a eu Mes 7 péchés capitaux. Là, je m’suis un peu emballé. J’avais un dialogue avec Dieu mais c’était compliqué. C’étaient les balbutiements d’Hallelujah Bordel! Je jouais sept personnes sur scène dotées chacune d’un péché. C’était un peu trop compliqué, un peu trop philosophique et pas assez efficace et ça durait 1h30-1h45. Alors oui, je suis «hanté» par des questions de société dont on parle dans les journaux et au quotidien. On l’est tous à des degrés divers. Moi, je n’aime pas ou du moins je suis pas sensible aux choses lisses.
Mais qu’est-ce qui vous a amené à 16 ans à ces sujets ?
J’étais beaucoup dans l’observation. Je lisais énormément et je lis toujours même si en ce moment c’est difficile. A une époque, je lisais quatre à cinq heures par jour.
Et que lisiez-vous ?
Alors voilà, là, on va toucher une de mes lacunes. Comme j’ai arrêté l’école très jeune, forcément, il y a plein de choses que je ne sais pas. En plus, j’écoutais pas. Alors le peu que j’ai appris, je ne l’ai pas retenu. J’ai dû me faire ma propre culture. A une époque, je me suis passionné pour les sciences cognitives. Donc, si vous me parlez du cerveau, je peux répondre. Je peux également parler de religion, je suis assez pointu sur ces thèmes. Mais si vous m’interrogez sur les noms des capitales, des fleuves et des choses basiques, je suis très inculte. Je ne sais pas. Je comble mes lacunes au fur et à mesure mais comme je suis un peu obsessionnel je reste un an ou deux sur un thème. Pendant un temps, ç’a été la philosophie. Du coup, j’étais très pointu sur certaines questions et ne parlait que de ça à une époque.
Vous ne m’avez pas dit quelles étaient vos lectures. Quels sont vos livres préférés?
(Il réfléchit)
Ceux que vous conseilleriez par exemple à votre filleul ?
Mon filleul, je pourrais lui faire lire Agatha Christie. Les Dix petits nègres, notamment. Agatha Christie écrit des livres bien, un peu cruels et en même temps très intelligents. Il y a de la classe dans l’écriture de cette romancière. Après, moi, je lisais beaucoup de documents, de témoignages…Pas mal de livres sur les tueurs en série. J’étais déjà attiré par tous ces trucs. Je conseille beaucoup Nietzsche.
Lequel ?
L’Antéchrist a été une de mes plus belles lectures ! Quand Nietzsche dit que la religion chrétienne est une religion de la mort. Il suffit de voir leur symbole : un cadavre posé sur une croix. J’adore ! Et puis j’aime bien cette notion de casser, dès le départ, le bien et le mal et de dire que telle chose n’est pas déterminée à être bien ou mal.
D’où le titre Par-delà (Le) bien et (Le) mal.
C’est ce que je suis en train de lire en ce moment. J’aime bien, ça me passionne, c’est brillant ! Je ne suis pas d’accord avec tout mais l’ensemble me plaît. J’aime bien aussi, même si c’est un peu plus léger, L’art d’avoir toujours raison de Schopenhauer. Je trouve ça magique, très drôle et plein de mauvaise foi. Schopenhauer dit notamment que si on n’a plus d’argument face à quelqu’un, on n’a qu’à faire une bonne blague car on fait rire l’assemblée, dans l’insconscient collectif, on a l’impression que c’est lui qui a gagné. On ne remporte pas un débat grâce à des arguments mais quand on convainc l’assemblée. J’aime bien me dire : «Putain , je ne l’avais pas vu comme ça !». J’aime bien m’ouvrir des portes.
Avec toutes ces lectures est-ce que finalement vous ne vous êtes pas défait de ce complexe des lacunes ?
Oui, mais voyez, là par exemple, je crois que je ne m’exprime pas trop mal à l’oral mais je ne peux absolument pas vous dire quel temps j’emploie. A l’écrit, c’est beaucoup plus compliqué pour moi parce qu’il faut que je retravaille. En ce moment, je prends des cours d’orthographe et de conjugaison. Je fais des dictées parce que je n’écris pas bien et je fais des fautes. C’est très compliqué pour moi car je crois être un vrai littéraire. Je ne crois pas faire de fautes de français à l’oral. J’ai même un langage assez châtié, j’ai du vocabulaire… mais la conjugaison, c’est compliqué et je suis incapable de vous dire quel temps j’emploie. Parfois, quand j’écris une lettre, un document, je vais vers le langage le plus simple car je n’ai pas avec l’écrit l’aisance que j’ai à l’oral. Parfois je me fais aider et je dicte car je ne sais pas écrire ce que je dis. Les gens autour de moi sont au courant. Je n’ai pas honte mais parfois on se sent bête.
Et là, je suis censée vous croire.
C’est vrai, je suis très sérieux! Si vous voulez que je vous écrive quatre phrases vous verrez les fautes que je fais ! (Rires). Quand j’ai commencé à bosser sur Europe 1 avec Laurent Ruquier(Ndlr : dans l’émission quotidienne On va s’gêner)…Franchement, quand on se retrouve à côté de Bénichou, Olivier de Kersauzon, Miller qui sont de grands érudits, parfois ça me bloque. Du coup, je vais être meilleur en talk dans des émissions où je vais être avec des gens différents, qu’avec eux où je suis moins bon. Je ne me sens pas légitime, je fais un petit complexe. Parfois je ne suis pas bon dans des émissions, j’ose pas me lancer sur des sujets littéraires. Je donne rarement mon avis sur des questions intellos. Au point que c’est devenu une vanne. Laurent dit : “De toutes façons Ferrari n’est pas allé à l’école, il n’sait rien!”. Et ce truc-là m’enferme encore plus dans le truc. Il faut que j’arrive à casser ça. Si je suis sur Europe 1 avec des gens détendus comme Christine Bravo, qui est une grande érudite, ça va. C’est pas pareil, elle est beaucoup plus cool.
Hum, Christine Bravo a une bonne culture générale. De là à parler d’érudition, non !
Si je suis avec des gens comme ça je suis bien meilleur. Ça fait partie des choses que je dois résoudre.
Qu’est-ce qui vous fait rire ?
Moi, j’aime bien ce que je fais (rires). J’aime bien l’humour noir, les fous ! Je me rappelle un spectacle de Nicolas Koretzky, un comédien qui faisait tous les films de Klapisch. Il avait un spectacle avec un flingue. (Ndlr : Il s’agit de One man violent initialement intitulé Nicolas Koretzky sort les monstres qui a été joué en 2005 et 2006 à Paris). Il n’y avait que moi qui riais dans la salle et je riais tellement fort. Le gars était fou ! Il faisait un spectacle d’humour noir dans lequel il allait trop loin. Il arrivait sur scène avec une batte de baseball et une cagoule et il lançait au public : «Vous allez vous marrer bande de connards !» et il tapait sur les sièges en acier. Fou complètement fou ! J’aime bien Desproges qui me fait mourir de rire. Je suis en train de lire toute son œuvre. Desproges, même à l’écrit, c’est puissant. C’est une sensation, une couleur que je n’arrive pas à décrire. C’est un intellectuel et quelqu’un d’intelligent qui portait sur le monde un regard malicieux. C’est un ton grave dans un œil léger. Quand on lit Desproges, on s’aperçoit qu’il est hyper simple. Desproges est un amoureux des mots, des lettres mais c’est un mec simple. Je crois que j’aurais pu le mettre devant mon père, ils se seraient bien entendus devant un bon apéritif. Ce sont des humoristes comme Desproges et Coluche qui m’ont donné envie de faire ce métier.
Quelles limites vous fixez-vous dans la pratique de l’humour noir ?
Ce qui est hyper important quand on fait de l’humour noir c’est de ne pas confondre humour noir et cynisme. Le cynisme au sens propre n’est pas quelque chose de très positif. Et parfois ça me gêne un peu. Il y a beaucoup d’humoristes qui font de l’humour noir et qui sont très doués; mais moi, dès qu’on fait la morale et qu’on profite de la vitrine qu’on a pour donner son avis personnel, ça m’ennuie. Je pense qu’un humoriste ne doit pas donner son avis. L’humour noir doit rester neutre ! Voilà ma limite. Moi, je ne donne jamais le mien. Je pointe du doigt des choses mais je ne pense pas résoudre des problèmes.
Vous fédérez un nombre croissant de spectateurs avec un registre peu réputé pour fédérer.
Quand on me dit que l’humour noir est segmentant, ça m’fait bien rire ! Je pense qu’il n’y a que des humoristes segmentants quelle que soit la forme d’humour choisie. Le fait de segmenter n’est pas l’apanage de ceux qui pratiquent l’humour noir. Coluche était un spécialiste de l’humour noir et c’était l’humoriste préféré des Français. Tout est dans la manière dont on le fait et pourquoi on le fait. Quand on est méchant pour les bonnes raisons, je crois qu’on peut parler à tout le monde ! C’est pour ça que je compte dans mon public autant de docteurs en philosophie que d’ouvriers qui fixent des boulons. Chacun à sa manière va comprendre et interpréter les choses de façon différente mais je suis autant content de faire rire l’ouvrier que le docteur en philo. Je me sens même plus proche de l’ouvrier que du philosophe.
Pourquoi votre spectacle Hallelujah Bordel!, dure-t-il 1h45 ?
Vous avez trouvé ça long ?
Je ne m’y attendais pas. Je vois beaucoup de one-man-shows d’une heure voire 1h10 donc je suis peut-être formatée et déformée.
Le spectacle de Constance fait une 1h10 celui de Bats, 1 h (Ndlr : spectacles à l’écriture desquels Ferrari a collaboré)…C’est couillu. Il faut le tenir ce texte, ne pas perdre les gens. Je faisais plus avant mais je perdais les gens.
Sans compter que les allers-retours que vous faites entre la scène et le public font bien vingt minutes voire plus.
Ouais. En fait, j’avais fait des coupes et enlevé des bouts de sketches qui étaient moins efficaces pour me laisser une marge d’improvisation. Au début, Hallelujah Bordel!, faisait 2h20.
Attendez, c’est de la folie ! Pourquoi faire 2h20 ? Est-ce parce que vous n’arrivez pas à couper ou bien parce que sur scène vous étirez les impros en fonction du public ?
J’écris, j’écris, je rajoute…Le problème, c’est les impros. Plus de la moitié du sketch de Dieu, c’était de l’impro. Bon, maintenant c’est écrit. Il m’est arrivé de démarrer le spectacle après vingt minutes d’impro. En Alsace, j’ai fait vingt minutes avant de démarrer et dire bonsoir (rires).
(Rires) C’est l’Alsace. Il fait froid, vous vous êtes dit que les spectateurs n’avaient peut-être rien d’autre à faire !
Deux heures et vingt minutes, c’est drôle car quand vous avez bien bien fait rire les gens, au bout de 1h45, ils n’en peuvent plus ! (rires).
Oui et dites-vous qu’en plein été, ils vous auraient peut-être déjà quitté !
Je suis complètement fou donc je ne sens pas la fatigue (rires). Les spectateurs rient parce que c’est drôle mais sincèrement, ils n’en peuvent plus !
N’auriez-vous pas besoin d’un metteur en scène, justement, pour maîtriser ce temps et resserer peut-être ? Le premier noir (Ndlr : moment où la lumière s’éteint entre deux sketches) survient à 45 mn.
J’ai essayé de travailler avec des metteurs en scène, ça n’a jamais marché.
Seriez-vous ingérable ?
Non, mais c’est très compliqué. Moi, je pense qu’un metteur en scène de one-man-show, à quelques exceptions près, ça n’existe pas, en fait.
Vous êtes pourtant l’auteur et le metteur en scène de Guillaume Bats.
Oui et justement, je pense que quand on écrit son texte, on sait déjà comment on doit le jouer, comment on doit le faire. Quelque chose de drôle, ce n’est pas qu’un texte ! C’est une intonation, un geste, un mouvement, un regard…On le sait quand on écrit. J’ai suffisamment de gens autour de moi qui vont me dire : «Ça, c’est trop long». Je suis à 1h45-2h et je pense que c’est le bon format pour moi. Les gens paient 35-45 euros leur place, pour moi, c’est normal de faire deux heures de spectacle.
(Grand éclat de rire). Oh, non, Jérémy ! On n’est pas chez le boucher, vous n’allez pas me le vendre au poids !
Non, mais Gad Elmaleh fait 1h45, Dubosc fait 1h45…
Vous me parlez d’humoristes qui sont là depuis dix-quinze ans ! Et dont le public est acquis et conquis. Ils ont même des inconditionnels qui rient quoi qu’ils fassent ou disent. Regarder Chantal Ladesou, elle peut se gratter la tête, certains riront. Vous, Jérémy, même s’il y a douze ans de travail en amont, je regrette mais, aux yeux du grand public : vous débarquez ! En voyant Hallelujah Bordel!, j’ai pensé : l’idée et le propos sont clairs, je vois où il veut aller mais pourquoi fait-il 1h45 ?
Parce que je crois que très sincèrement qu’il y a tout ça à dire. Vraiment. Au début, mon spectacle faisait 2h30 sur le papier. J’ai coupé 45 minutes pour arriver à 1h45. Après, il y a un peu d’impro donc ça fait 1h50-1h55 (Ndlr : silence). Là, ce serait compliqué de couper.
Qu’est-ce qui vous a fait passer de 2h30 à 1h45 ? Vos producteurs, votre instinct, les réactions du public ?
Ce qui me l’a fait réduire c’est que je sentais que je perdais les gens. Là, avec 1h45, je les tiens. Les spectateurs ont 1h45 de spectacle, il y a une construction, et pour moi c’est très compliqué de couper, en fait. Il y a 45 minutes qui tiennent très bien la route sur les trois religions et après c’est cousu de telle manière que pour arriver à la pédophilie musulmane, pour pouvoir tout passer comme ça, c’est très compliqué de couper. Si je coupe un truc, je coupe un pan entier dans les Musulmans. Ça veut dire que soit je ne parle pas de la pédophilie soit des femmes battues…J’peux pas ! (Ndlr : il détache chacune des syllabes de la phrase qui suit). Je-ne-peux-pas. Je pourrais peut-être couper des choses plus anecdotiques comme quelques articles de presse.(Ndlr : il réfléchit). Le problème c’est que ces moments-là sont des respirations pour amener des choses plus graves. Donc, en l’état, c’est compliqué pour moi de couper. Et en l’état, je trouve que le spectacle se tient. L’équilibre de ce spectacle est très compliqué. Je ne vais pas risquer…J’ai déjà enlevé plein de trucs comme les quinze minutes sur les Juifs et les extra-terrestres.
(J’écarquille les yeux et reste bouche bée). Celle-là ne doit pas sortir de la Bible !
J’avais un passage sur les Juifs et des extra-terrestres dansant sur Heili heilo. J’avais lu dans Courrier International le témoignage d’un rabbin affirmant que les extra-terrestres étaient antisémites. J’avais un truc sur le mec qui a lancé une fatwa contre Mickey. J’ai enlévé mais le problème c’est que je refais des trucs d’impro et que là j’ai redébordé…Va falloir que je coupe car l’autre fois j’ai fait 2h10.
Au niveau de la mise en scène, on vous voit aller de cour à jardin et inversement. C’est un parti pris ?
Ouais, ouais. Ça agace des gens ce côté un peu chien fou sur scène mais je sais ce que je fais. Peut-être que je me trompe mais ce n’est pas fouillis dans ma tête. Il y a peut-être quelque chose de mieux à faire. Le truc c’est qu’en fait, c’est le début; ensuite, je me calme sur les Musulmans. Je fais des pas plus lents. J’ai tout jaugé comme ça. Au début, je viens quand même avec la Bible dans la main et je dois faire rire les gens avec L’Arche de Noé. Quand j’ai démarré ce sketch, je me suis pris un bide ! Ça ne faisait rire personne jusqu’à ce que les gens comprennent que ce que je disais était vrai.
Vous répétez pourtant plusieurs fois que les citations relévées sont authentiques.
Oui, parce qu’au départ les gens ne me connaissaient pas. J’arrive avec la Bible sur un plateau d’humour, ils se demandaient de quoi je parlais. J’ai tellement pris de vestes avec ce sketch en me disant : «Je sais que c’est drôle» que j’ai dû rajouter des choses. Je me suis aperçu que quand je faisais le prof, ça ne marchait pas. Ça marche quand je vais parler aux gens. Donc pour moi, c’est une manière dès le départ de choper tout le monde. Je vais sur les côtés, je regarde en haut, je pointe tous les mecs…
Vous voyez tout ce qui se passe et vous confiquez portables et I-pads que vous jetez en l’air.
C’est insupportable ! Ça me rend ouf ! Les gens qui me filment ou me photographient quand je joue, ça me rend malade ! On a beau dire que les photos et videos sont interdites, ils continuent. C’est pas possible ! Et moi d’ailleurs, je balance les téléphones. Je l’ai fait le jour où vous êtes venue ?
Oui, vous avez balancé un I-Pad à La Cigale, c’était le jour de la captation de votre show pour le DVD.
La dernière fois, au Sébastopol (Ndlr : théâtre de Lille), il y avait une fille qui me photographait avec un portable. J’ai pris le portable, la fille ne me croyait pas, je l’ai balancé dans l’arène. Elle était assise au premier rang et elle avait pris deux fois son téléphone, elle m’a provoqué.
Balancer des appareils, c’est un geste violent, non ?
Oui, c’est violent ! Mais vous arrivez sur scène et les gens sont comme ça (Ndlr : il saisit son portable et fait une imitation) C’est tellement irrespectueux !
Oui mais on en revient à l’amorce de notre précédent entretien : une foule très dense qui vous attend, des filles qui crient qu’elles vous aiment. J’ai cru que j’allais voir Justin Bieber. Dès lors que vous accédez à la notoriété vous suscitez ce genre de comportements. Il faut vous y préparer. La prochaine étape, c’est vous sur la plage avec votre fiancée dans la presse people.
Je n’ai aucun problème avec ça mais là, c’est de l’ordre du respect, c’est du spectacle vivant ! Il y a certaines personnes qu’il faut éduquer. S’ils ne savent pas qu’au théâtre il ne faut pas photographier le mec qui joue, il faut leur apprendre ! Moi, je leur apprends : ça ne se fait pas ! Alors après, il faut que je fasse marrer les gens. Ce qui fait marrer les gens c’est que je saisisse le portable et que je le balance. Les gens crient : «Oh, il est fou !» (rires). Et du coup, plus personne ne sort son téléphone.
J’ai vu Claudia Tagbo et Caroline Vigneaux confisquer des portables ou vanner leurs propriétaires. Elles rendent les objets à la fin. C’est fait dans la douceur- même si on devine leur agacement- et tout le monde en rit.
Le problème c’est que si je vanne la fille gentiment, ça lui fait un souvenir. Du coup, d’autres spectateurs vont sortir leur appareil exprès pour que je les vanne et avoir un souvenir. “Attends, je vais provoquer Ferrari ! Il va me vanner, ça fera un souvenir !“. Moi, je ne veux pas que les gens aient envie que je les vanne ! Je balance les portables pour que les gens se disent : “Putain, faut vraiment pas que je sorte mon téléphone!”. Avant, je faisais défiler le répertoire du téléphone en demandant au public de dire stop. J’appelais le numéro sur lequel je m’étais arrêté et j’insultais la personne : “Bonjour, c’est Jérémy Ferrari. J’arrondis mes fins de mois en passant des appels pour les gens qui ont un message à transmettre. Je vous appelle de la part de Jessica qui me dit de vous dire que vous êtes une connasse ! “. Je pouvais tomber sur une collègue, un ami ou sur son patron. Et ensuite, je raccrochais et balançais le téléphone pour que son propriétaire ne puisse pas rappeler. Si je suis trop gentil et ne fais que déconner, les gens ne comprennent pas.
C’est votre passage chez Orange qui vous a traumatisé !
Je vous assure, c’est horrible.
D’ou vient le titre Hallelujah Bordel! ?
C’est un journaliste qui l’a trouvé. Dans Mes 7 péchés capitaux, j’avais un sketch qui parlait de religion et un journaliste avait titré une des colonnes de son article Hallelujah bordel. J’ai dit : “Putain, c’est un titre formidable !” Et du coup, j’ai écrit le nouveau spectacle et j’ai adopté cette expression.