«Tout ce qui est sacré est dangereux»

21/12/2017

Jérémy Ferrari est un homme pressé. À 32 ans à peine, il court d’une aventure à l’autre, sans jamais donner l’impression de reprendre son souffle. En 2010, le voilà propulsé par Laurent Ruquier sur le plateau d’« On n'demande qu’à en rire ». Ses apparitions régulières en font rapidement une vedette du petit écran. Et sa carrière artistique est lancée.

Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, Ferrari tente, avec « Vends 2 pièces à Beyrouth », un one-man-show autour des guerres et du terrorisme. Risque payant. Le spectacle fera un tabac.

Le voici depuis 2014 à la tête du « Smile and song festival », lancé à Louvain-la-Neuve et relocalisé depuis l’an passé sur Bruxelles, pour pouvoir bénéficier d’une plus grande diversité de salles. Le festival a accueilli, depuis sa naissance, de grandes affiches humoristiques : Christophe Alévêque, Jean-Marie Bigard, Jonathan Lambert, Eric Antoine, Nawel Madani, Oldelaf ou Guillaume Bats.

L’homme était il y a peu à Bruxelles, pour nous parler de l’affiche de cette cinquième édition.


Pourquoi ce choix de la Belgique, vous qui avez d’abord fait carrière en France ?

Tout simplement parce que j’aime ce pays, et que j’aime ce public. Ma grand-mère était belge. Mon grand-père a travaillé au journal « Le Soir ». Ce serait financièrement plus simple si je faisais ce festival en France, notamment parce que la soirée télé des duos impossibles y serait plus rentable, là-bas. Mais je suis très fier de faire ça ici. Il n’y avait rien et on a créé quelque chose qui n’existait pas : un festival d’humour et de musique à Bruxelles.

Quels seront les moments forts de cette édition ?
Cette année, le festival ne durera plus une semaine, mais un mois. Ça nous permettra d’attirer plus d’artistes, comme cette année Véronique Sanson ou Jamel. On aura comme chaque année un match d’impro. On aura un spectacle qui s’appelle « Noir », dans lequel les humoristes et les gens vont se retrouver dans le noir complet. Et on aura les duos impossibles de Ferrari, cette année à Forest-National. On vise encore plus de monde. C’est Laura Laune qui coprésentera la soirée avec moi… et avec un enfant. Oui, parce que le thème de cette année, c’est l’enfance. L’affiche des duos n’est pas terminée. Mais je peux déjà vous dire qu’on aura Lorant Deutsch, avec qui j’ai récemment sympathisé sur un salon du livre, et qui est un homme très drôle. On aura aussi Nicole Ferroni, Arnaud Tsamère, Baptiste Lecaplain. Que des potes.

Vous êtes le producteur de la Montoise Laura Laune, qui vient de remporter le télé-crochet « La France a un incroyable talent », sur M6. Heureux ?

Très très fier. Je l’ai découverte un jour au festival de Dinard. Je me souviens, je me suis assis dans la salle. J’ai entendu cette fille sur scène qui racontait des monstruosités. On a sympathisé. Elle cherchait un auteur et un producteur. Je n’avais jamais fait de production d’humoriste de ma vie. Et voilà. On a travaillé pendant deux ans, d’abord en tournant dans de petites salles. Je considérais qu’elle n’était pas encore prête pour les grandes salles. Elle a accepté. Travaillé énormément. Et aujourd’hui, elle est prête. Ses salles sont pleines et de plus en plus grandes, à Paris. Sa carrière est en train d’exploser. Je suis extrêmement fier. Car je sais ce que c’est de devoir être patient, quand on fait comme elle de l’humour très noir.
Vous voulez dire que c’est compliqué d’exister médiatiquement, quand on est dans l’humour de provocation ?
C’est très compliqué. Et il faut être intransigeant. Il faut refuser de participer à quelque chose si on ne vous donne pas totale liberté. Moi, si on veut me couper une phrase en estimant qu’elle n’est pas drôle, ce que je demande c’est qu’on argumente. Et avec moi, il faut un bon argument.
Perrine Desproges considère que vous êtes dans la continuité de ce que faisait son père Pierre.
Desproges était dans un langage plus châtié. C’est un amoureux des mots. Il y a quelque chose de presque élitiste, avec lui… même s’il reste un humoriste populaire. Alors que moi, dans la forme, j’ai un langage moins choisi. C’est moins poétique. Je suis plus dans une approche populaire. En revanche, je me sens proche de lui sur le fond. Et je partage avec Desproges son allergie au sacré. Pour moi, tout ce qui est sacré est dangereux. Même Coluche et Gainsbourg ont été sacralisés, s’énervait Desproges, qui les aimait pourtant. Quand vous décidez que quelque chose est sacré, tout à coup on ne peut plus y toucher.
C’est un danger qui guette un artiste populaire… comme vous ?
C’est une bonne question. Ça me gêne beaucoup quand on me fait des compliments. Mais je pense que ce sera à moi de maîtriser ça.
Entretien par Nicolas Crousse, pour Le Soir